La Reine morte par Cathyfou
"La reine morte" de Montherlant est d'abord une pièce où se rencontrent plusieurs espaces et plusieurs temps. La littérature persane du Moyen-Âge (Firdousi), le Siècle d'Or espagnol, le théâtre français classique. Originellement inspirée par une épopée, elle est un drame et une tragédie. Voilà ce qui lui donne son caractère si difficile à définir, et son atmosphère particulière.
De la tragédie, la pièce garde le thème central de la pureté. Il est aisé de voir en Ferrante l'incarnation du personnage tragique déchiré entre la nostalgie de la pureté, et des aspirations politiques qui impliquent de se souiller par le mensonge. Néanmoins, d'autres personnages portent en eux à la fois la pureté et la souillure, comme c'est le cas d'Inès, associée à la clarté par l'entremise du motif du clair-obscur, récurrent dans la pièce, et susceptible de souiller l'enfant que l'on veut préserver des compromissions terrestres. [Montherlant avait une perception de la femme assez ambiguë, mais passons]. La cour est un lieu de ténèbres, les motifs des actions sont obscurs, les personnages sont des êtres lumineux perdus dans toute cette noirceur : bref, Montherlant ne fait pas l'économie des contrastes, même si on ne peut pas le dire manichéen (il est vrai toutefois qu'il y a des personnages patibulaires à souhait, remplissant bien leur rôle de crapules corrompues). Le tout ressemble un peu à un tableau mouvant période XVIIe.
Tragique, "La reine morte" l'est également du fait de l'aveuglement des personnages. Inès ne sait pas interpréter les signes, y compris les plus évidents (l'étoile qui s'éteint ... il fallait vraiment vouloir la rater ...). Quant à Ferrante, c'est le type même du personnage caché à lui-même, changeant d'avis au dernier moment comme sur une impulsion (?), portant le tragique en lui sans le savoir. Il est tout aussi aveugle qu'Inès, mais c'est un aveuglement par rapport à ce qu'il est, ce qui est d'autant plus tragique. Ferrante a peut-être un peu tendance à se complaire dans le brouillard mystique quant à son inexplicable décision: "Cela est étrange, mais il n'y a que des choses étranges au monde"; "Je vois l’abîme, et j'y vais", etc. C'est étrange, obscur, inconnu, caché ... Bon.
Ce qui est intéressant dans tout ça, c'est la gratuité de l'acte par lequel tout se joue, et la conscience, de la part du personnage, de cette vanité. "La reine morte" ne fait pas partie des pièces chrétiennes de Montherlant. Ferrante n'agit pas pour réaliser quelqu' ordre transcendant, pas plus qu'il n'est mû par l'espérance. Son acte est absolument inutile, motivé par rien. Les actions des hommes? Des accidents. Une série de hasards. Ce sont des êtres vides qui frappent dans le vide, et dont le Dieu est absent.