Oubliez la reine qui n'a rien d'une reine.
La reine morte n'est pas l'histoire d'une reine. A mon sens, c'est d'abord l'histoire du roi Ferrante et de l'infante de Navarre, qui encadrent majestueusement celle qu'on suppose devoir être au coeur de la pièce, Inès de Castro.
Parce qu'Inès n'est pas complètement idiote ; Inès est surtout béate, simple, amoureuse, heureuse, confiante. En un mot Inès est niaise.
Ferrante et l'infante sont quant à eux l'exact antithèse, l'un de l'autre, et eux d'Inès.
Ferrante est las, vieux, lucide, faible et fort, prudent et déraisonné, désillusionné, aigre et presque tendre. En un mot il est réaliste.
L'infante est orgueilleuse, forte, jeune, tragique, puissante, fascinante, dure, bonne. En un mot elle est grande.
La Reine morte, c'est donc un trio. Un trio brillant, constitué d'une figure de tête qui s'efface tout en donnant sa raison d'être à l'oeuvre ; d'une pâle image qui est selon moi exécrable ; et d'un homme trop conscient. Il y a en plus Pedro, le prince, un benêt qui a un peu d'esprit quand il daigne en avoir, qui va à merveille avec Inès, sa femme.
L'argument de la pièce est relativement simple : Ferrante, roi du Portugal, veut marier son fils Pedro à l'infante de Navarre, mais celui-ci est épris d'Inès, marié en secret à celle-ci, laquelle attend un enfant. Je l'ai dit, Ferrante et l'infante sont absolument brillants, tout en implacable rudesse mêlée à un lyrisme tragique, et leurs discours, états d'âme, leur existence même donnent tout son sublime à la pièce. Et puis Inès, médiocre mais belle, s'étale, trop, et je fus un peu déçue de la voir tant. Mais elle n'a pas réussi à gâcher mon plaisir, et je retiens que l'oeuvre a une très forte portée réflexive, car Ferrante et l'infante sont très réfléchis, très profonds, et qu'elle vaut par ces deux personnages grandioses.
Montherlant signe ici une oeuvre, une tragédie qui a un goût de nouveauté tout en ayant tous les atouts d'un classique, qui vit par et pour ses personnages.