Apostrophe (’)
7.9
Apostrophe (’)

Album de Frank Zappa (1974)

Réalisé à la suite d’œuvres orchestrales exigeantes (The Grand Wazoo) voire froides (Waka/Jawaka), les sessions d'Apostrophe, dont Zappa tirera aussi quelques fabuleuses giclées brutales et sexistes avec Over-Nite Sensation, représentent ce que l'auteur d'une grande page de la musique fusion a réalisé de plus mature, de plus stylé et stylisé. Ce qui est à ce jour son plus gros succès commercial (belle mais modeste 10e place au Billboard américain) est la clé qui ouvrira toutes les portes de sa discographie pléthorique, usante, foisonnante.


L'opus ultime, la synthèse monstrueuse d'un poète délirant capable de vous faire gober des histoires saugrenues où l'on causera eskimos, de neige contaminée par une pisse mortelle, de pancakes au petit-déjeuner d'un certain St-Alfonzo, d'un gourou hypnotiseur ou encore de pieds qui puent. L'approche décomplexée et très narrative d'une fusion entre le rock, le gospel et la soul porte cet Apostrophe au rang d'oeuvre mémorable et, chose suffisamment rare pour être soulignée, accessible au commun des mortels.


La production est formidable, claire et punchy, les solos de guitare fracassants et concis (le jam Apostrophe, celui de Cosmik Debris ou de Stink-Foot) pourraient être samplés à l'infini par les rappeurs de la west coast, les modulations vocales de Zappa apportent une onctuosité, une densité et une sensualité débridée à cet ensemble rock flamboyant, fêtard et transgressif, bulle de comics pour adultes où le Zeppelin se serait écrasé sur la montagne King Crimson, avec une dose de classe supérieure à tout ce qu'a fait Zappa depuis ses débuts avec les Mothers.


Artiste de génie conscient de l'importance de son empreinte, le vice est poussé jusqu'à conclure l'album avec Stink-Foot, le meilleur titre de l'album, franche déconnade sidérante, merveille d'humour et de dérision, au flow de hip-hop psychédélique ponctué par des giclures wah-wah, où Zappa se place vocalement tellement en avant que sa voix devient précepte total, verbe musical, inimitable et inoubliable (You know my python boot is too tight, I couldn't get it off last night, A week went by, and now it's July, I finally got it off, and my girlfriend cried, you got stink foot! Stink-foot, darlin').


Une Première Classe populaire avec un solo à la six cordes galvanisant de plus d'une minute ponctuant comme il le fallait cet album prodigieux nécessitant des dizaines d'écoutes pour l'aimer davantage, pour en extraire le nectar, le suc nécessaire à la bonne appréhension d'une oeuvre tellement débridée et libre qu'elle en devient finalement exigeante. On le savait perfectionniste éreintant, il faudra attendre la postérité pour que Zappa soit reconnu comme l'un des plus grand musiciens de sa génération.

XavierChan
10
Écrit par

Créée

le 6 sept. 2020

Critique lue 518 fois

9 j'aime

2 commentaires

XavierChan

Écrit par

Critique lue 518 fois

9
2

D'autres avis sur Apostrophe (’)

Apostrophe (’)
PiotrAakoun
10

Critique de Apostrophe (’) par PiotrAakoun

En cet été 1974, à peine terminé l'enregistrement de son album "Over-Nite Sensation", Frank Zappa décide de retourner en studio pour enregistrer un autre album, encore plus court, à peine 32 minutes,...

le 7 mai 2017

9 j'aime

16

Apostrophe (’)
RockNadir
10

Pas une apostrophe mais un point d'exclamation géant !

Ce Zappa commercial est un des grands chefs d'œuvre du maître. À sa sortie nous n'en finissions plus de nous exclamer et nous n'avons plus jamais mangé de neige jaune même sur l'acide ! Un régal et...

le 18 juil. 2020

4 j'aime

Du même critique

The Hunt
XavierChan
3

Critique de The Hunt par XavierChan

Tromperie sur la marchandise, l'affiche a l'élégance porcine d'un Seul contre tous mais son contenu est en fait une grosse farce guerrière qui ne mérite en aucun cas toutes les accroches putassières...

le 2 avr. 2020

29 j'aime

12

Yi Yi
XavierChan
10

Critique de Yi Yi par XavierChan

Yi Yi sonne comme le chef d'oeuvre du cinéma taïwanais des années 2000, le film-somme d'un cinéaste parti trop tôt, qui avait encore tant à apporter à l'édifice qu'il avait lui-même bâti au cours des...

le 27 févr. 2011

21 j'aime

4

The Velvet Underground
XavierChan
9

Critique de The Velvet Underground par XavierChan

Tout le monde, à part la bande de camés du coin, pensait le Velvet définitivement enterré dans les limbes de l'insuccès commercial, creusant tellement profondément leur propre tombe qu'ils ne...

le 23 déc. 2011

19 j'aime

2