Arbour Zena est une curieuse expérience qui n'a pas vraiment eu de suite.
Avec Jan Garbarek de son quartet européen au saxophone, Charlie Haden, vieux complice des débuts à une basse double et les membres de l'orchestre symphonique de Stuttgart (à la baguette, Mladen Gutesha) pour tisser un fond sonore, Jarrett s'essaye à quelque chose qui tient tout autant de la musique de chambre que d'une musique contemporaine concrète à la fois minimaliste quand elle n'est pas parfois ambiante.
C'est un disque qu'on ne sait pas vraiment par quels côtés prendre à la première écoute car il dispose autant de moments rythmés (et traduisant presque en musique des sentiments) que d'autres beaucoup plus calmes, voire plats surtout quand on sait que les pistes n'obéissent à aucune logique de construction élaborée à première vue. Il y a des fragments évidents qui créent quelques choses, des dissonances passionnantes et parfois c'est comme si la musique s'éteignait lentement pour mourir à petit feu et ne laisser que du silence qui s'éternise... Pour ensuite repartir vers autre part.
D'ailleurs il faut remarquer que les instruments ne se chevauchent jamais vraiment trop. Si la trame sonore de l'orchestre est omniprésente, c'est le plus souvent pour un instrument à la fois comme si les musiciens devaient se partager la cabine d'enregistrement une fois que l'orchestre aurait pris toute la place. Donc ce sera bien souvent orchestre + piano ou bien orchestre + basse mais jamais orchestre/piano/basse/saxophone le tout en même temps. Ce n'est donc pas la puissance que vise ces compositions mais bien quelque chose de l'ordre de l'intime, de l'épure, de l'évanescent.
Les premières écoutes me laissèrent donc dubitatif. Sans rien à avoir pour me raccrocher, j'écoutais souvent le disque avec un ennui poli, n'arrivant pas à y entrer.
Dans ces cas là, on laisse de côté et on y reviendra. Parce qu'on sait qu'avec le temps le déclic se fera bien à un moment.
Pour ma part il s'est fait une nuit, d'un coup, comme une révélation (presque au sens le plus biblique du terme). A l'époque je prenais régulièrement le train pour rentrer après le travail chez mes parents. Je rentrais souvent tard de Paris avec pas mal de trajet d'abord en train, puis ensuite encore en voiture. Evidemment avec la SNCF, les choses ne sont jamais aussi simple sauf que là, je me dois de les remercier : A cause de travaux sur toute la seconde partie de mon trajet ferroviaire, une partie du chemin pour les dernières petites villes reliées était à faire en bus. Des bus de nuits avaient donc étés mis en place par la sncf. Et qu'est-ce que je commence à écouter en pleine nuit avec mon ipod et mon casque dans un bus isolé sur des petites routes de campagne aux alentours de 23h-minuit, je vous le donne en mille ? Arbour Zena, oui.
Et là, en pleine nuit noire (mais vraiment), avec juste le paysage qui défile, parfois vaguement éclairé, parfois non, parfois brillant de la vaste lumière d'une grande ville, avec juste l'isolement dans cette musique si solitaire, j'ai été transporté.
Bam.
Je me suis pris le disque en pleine face. Sa beauté, sa joie, sa tristesse, son silence, sa richesse, sa froideur, sa chaleur, son humanité.
Encore aujourd'hui Arbour Zena n'est pas indissociable pour moi de cette idée de déplacement, de voyage, de trajet qui prend ici une pleine représentation musicale.