A quoi tient une grande soirée? Le 22 novembre 2000, Ray Charles à l’Olympia, le temps s’arrête. Certains soirs semblent conduire à un désastre et commencent très mal et pourtant s’achèvent en véritable triomphe. Ce soir-là en est un. Le 22 novembre 2000, à 20 heures, 2 500 personnes attendent impatiemment l'arrivée de Ray Charles devant l'Olympia. Le concert s'annonce exceptionnel. Le roi de la soul, accompagné d'un orchestre de 32 musiciens, célèbre ses 70 ans, l'aube d'un nouveau millénaire, et rend hommage à la salle dans laquelle il fit ses débuts européens, en 1960. Jean-Pierre Grosz, son agent, son producteur et son ami depuis vingt-sept ans, a tout prévu dans les moindres détails : des caméras pour immortaliser l'événement ; des techniciens pour enregistrer une heure quarante-cinq de musique en live. Mais, à 20 h 30, les portes du music-hall sont encore fermées. L'atmosphère devient tendue sur le Boulevard des Capucines (fréquent dans les années 60, bien plus rare aujourd’hui !). La foule envahit les trottoirs, la police intervient et menace d'annuler le concert. Personne ne sait ce qui se passe. Et puis vient le moment où, sans aucune explication, le public peut, enfin, accéder à la salle. Jean-Pierre Grosz monte sur scène et annonce : "Ray Charles est là, mais, en raison d'un imprévu, il jouera sans son orchestre." A cause d'une succession d'incroyables coïncidences - grève, tempête, accident d'avion - 29 des musiciens sont bloqués à Lisbonne !
Privé de son ensemble, Ray Charles se produit alors avec un trio - basse, batterie, guitare - et en acoustique, ce qui ne lui était plus arrivé depuis cinquante ans, lorsqu'il jouait dans les clubs. Très jazz et swing, un régal. Ce concert, aujourd'hui disponible en album et en DVD, est l'un des témoignages les plus magiques de toute la carrière du chanteur avec le Newport 1958. Pierre Papadiamandis, complice et compositeur d'Eddy Mitchell (disparu en 2022), qui a composé plusieurs chansons pour Ray Charles, dont le célèbre « Precious Thing », était présent dans la salle et s'en souvient encore : "On pouvait enfin écouter un Ray Charles débarrassé des clichés. Son piano résonnait comme un orchestre. Sa voix avait vieilli, elle était plus rauque, plissée de rides, mais pleine d'émotion.» Le bassiste, Tom Fowler, ancien collaborateur de Frank Zappa, monte sur scène en chaussettes : "Trouées! J'avais perdu mes chaussures dans les coulisses, raconte-t-il, mais j'avais retrouvé la joie de jouer avec Ray." 🤣 Puis, sur le dernier morceau, « What'd I Say », Ray Charles lance au public : "Maintenant, c'est à vous de m'aider." Sur un riff de blues, l'Olympia se transforme en un choeur de gospel. Les mains claquent et 2 500 voix s'unissent à la sienne. Aucun bis : "Ray ne revient jamais sur scène, conclut Brad Rabuchin, son guitariste, en parlant de lui au présent. Il ne voit pas pourquoi il devrait y retourner, alors qu'il a déjà dit au revoir et qu'il a déjà donné tout ce qu'il pouvait." A 22 h 30, le concert est terminé. Ray Charles ne reviendra jamais plus à Paris. "Avant d'entrer sur scène, raconte Peter Turre, son batteur pendant trente-quatre ans, Ray m'a dit : "On va faire comme au bon vieux temps : on improvise !" Il avait l'air heureux. Quant à nous trois, on n'a jamais eu autant de place pour nous exprimer. Ce concert a été le plus riche, le plus vrai qu'on ait fait avec Ray. "