D'un doux voyage en pays bleu
*Vos paupières sont lourdes. Vous ressentez les points d'appui de votre corps sur la surface du lit. Votre tête est bien soutenue, votre dos bien encastré. Vous vous laissez aller tout doucement au plaisir de votre relâchement. Vous êtes à l'écoute de votre corps, des sensations, de toutes les perceptions. Vous prenez maintenant conscience de votre respiration. Doucement, lentement, votre poitrine se soulève. À chaque expiration, vous laissez davantage votre corps devenir lourd et s'abandonner lourdement.*
... Je me noie progressivement dans le demi-sommeil de la relaxation. Je crois entendre ce qui ressemble à un clic. Une douce musique s'élève. Est-ce elle qui se superpose à ma respiration ou bien mon souffle qui se calque sur la musique ? Je ne sais pas bien, penser me semble devenir un effort inutile. Les cordes me bercent, je me sens perdre pied, quel soulagement... Je ferme les yeux.
J'ouvre les yeux. Aveuglé par ce nouveau décor qui jure avec le noir incertain de mes paupières closes, je tente de me me redresser. Pendant que mes yeux tâchent de s'habituer à la lumière ambiante, je me sens tanguer doucement. Je m'appuie à ce que je discerne enfin comme étant une petite barque. Autour de moi, bleu, plat sans vraiment l'être, s'étend l'océan à perte de vue. Son bleu est profond, magnétique, apaisant. J'ai comme l'impression que je devrais ressentir de l'inquiétude à demeurer ainsi bloqué au cœur d'un désert bleu sans espoir de sortie. Mais cependant que je contemple à l'horizon la jonction courbe entre la ligne marine et celle, grisâtre, du ciel nuageux, je ne perçois en moi nulle crainte. Juste une étrange béatitude détachée. Je me sens comme ces nuages au dessus de ma tête ; léger, transparent, uni. Et toujours ce balancement inexorable de la barque. Je me sens en parfait équilibre.
Au loin, je vois l'horizon se troubler. Le gris du ciel se noircit et voilà que ce qui me semblait être un nuage se met à rejoindre l'eau en un entonnoir menaçant. Une, deux, trois... Je cesse bientôt de compter les tornades qui se forment et qui semblent se rapprocher de la barque. Je vois également plus près de moi un gigantesque cercle marin courber la surface de l'eau comme un poids immense et invisible. Un véritable maelström est en gestation. A ce moment précis, je sens la menace de l'angoisse m'étreindre violemment. Vais-je périr ? Il semble que plus rien ne soit sous mon contrôle, que celui qui tire les ficelles au delà du ciel ne soit plus en bonté. Mais l'instant ne dure que l'espace d'une pensée morbide, car alors que les éléments déchaînés entament leur affrontement titanesque, je comprends que je ne suis pas impliqué. Et le détachement qui revient. Ma barque n'a pas cessé son léger bercement, au dessus de mon crâne la lumière du Soleil passe toujours au travers du fin voile nuageux. À quoi bon paniquer ? Je me prends à apprécier l'effroyable cataclysme qui se joue devant mes yeux. Il est si facile de garder du recul, je suis sûr mon petit nuage... Enfin dessous... La douce caresse du violoncelle lancinant me contient, comme une étreinte maternelle retrouvée. Ai-je bien dit violoncelle ? Il me semble bien. Mes sens semblent me faire défaut. N'y a-t-il pas là confusion ? Sont-ce bien des nuages que j'entends ou bien une douce mélodie que j'entrevois ? Ma vision se trouble, mon ouïe se déploie. Je ferme les yeux.
J'ouvre les yeux. Allongé sur le lit de ma thérapeute, je reprends doucement corps avec la réalité, alors que l'écho des violoncelles retourne au néant dans les hauts-parleurs de la chaîne hi-fi. Encore embrumé, je me redresse et je salue vaguement la sophrologue qui m'observe avec son sourire indéfinissable. Je me dirige lentement vers la sortie, non sans avoir jeté un œil sur le boitier CD posé à côté de la chaine : Atomos, A Winged Victory For The Sullen. Dûment noté. Je sors enfin, en laissant derrière moi mes angoisses apaisées.