Dans la grande discographie qui compose la City Pop japonaise, bon nombre d'artistes se sont distingués par le biais de rythmes funk tapageurs, qui n'ont rien à envier à leurs pendants occidentaux de la même période. Tatsuro Yamashita lui-même, proche collaborateur de Taeko Ohnuki et avec qui il a fondé en 1973 Sugar Babe (accompagné de Kunio Muramatsu), est connu pour ses envolées lyriques sur des basses survoltées qui ont ensuite été allégrement samplées par de nombreux artistes de cette étrange vaporwave dont je ne sais toujours pas quoi en penser mais qui a permis, quelques décennies plus tard, de faire resurgir aux oreilles de bon nombre de néophytes ce qu'était la City Pop.
Taeko Ohnuki pourtant, va progressivement s'éloigner de ces rythmiques et prendre une direction résolument pop, qui se traduit notamment dans Aventure, son cinquième opus, qui sort en 1981, alors là-même que la City Pop entre dans son âge d'or. Si certains de ses albums précédents semblaient prendre la même direction que ce qu'on faisait alors outre-pacifique, Sunshower (son deuxième album, sorti en 1977) pouvant par exemple être comparé aux œuvres de Minnie Riperton, dont les albums majeurs étaient sortis quelques années auparavant seulement, Aventure signe l'indépendance de Taeko Ohnuki, qui décide de créer son propre langage, un troublant mélange entre musique japonaise et new wave qui ne peut laisser indifférent.
Car au-delà de la réaction classique que l'on vit la plupart du temps à l'écoute d'un Tatsuro Yamashita ou d'un Kaoru Akimoto, celle qui vous donne envie de danser frénétiquement sur des rythmes et des arrangements au combien clichés mais réconfortants (et fort bien produits), l'écoute d'Aventure nous emmène dans un autre registre. Celui d'une émotion quasi-lyrique, d'arrangements plus calfeutrés, discrets, mais au combien fascinants. Car si on excepte Samba de Mar, morceau néanmoins incroyable, qui flirt encore avec ce que la City Pop sait faire de mieux, c'est à dire se nourrir de genres étrangers et les malaxer pour en faire des tubes efficaces (ici la musique brésilienne et le funk), le reste de l'album se déroule dans une succession de chansons, aux arrangements électroniques qui ont ce charme inouï des années 80, et qui vont plutôt s'aventurer ailleurs, simplement dans la "chanson" (considéré par certaines presses étrangères comme un genre à part entière) ou chercher du côté de la valse (Aventuriere), ou de la synth-wave (Chance). Ce qui en résulte, c'est une suite de pépites, de morceaux remplis d'émotion dans lequel Taeko Ohnuki peut exprimer à merveille sa voix sur des mélodies plus complexes et savamment construites, avec ce charme inexplicable de ces synthés cheap, de ces cordes synthétiques et de ces boîtes à rythme pourtant revenues au goût du jour aujourd'hui.
Alors, il reste bien sûr quelques poncifs inévitables : Un peu de saxophone boosté par une reverb grasse, quelques paroles en français (La mer, le ciel) ou dans un brésilien discutable (Samba de mar), mais il faut bien ça lorsqu'on sort de la City Pop dans les années 80, et à vrai dire, ça marche.
Il est très probable qu'on aime d'autant plus la musique de Taeko Ohnuki car elle nous propose à la fois ce que l'on aime dans la City Pop, ces sonorités réconfortantes et cette sensation de nostalgie d'une musique que l'on a pourtant découvert bien plus tard, mais également de vrais moments de lyrisme, des chansons marquantes, magnifiquement composées et qui font de Taeko Ohnuki selon moi, la plus grande artiste de City Pop. Un album magnifique, sommet d'une discographie fascinante dont la multiplicité des genres est à saluer.