Après le succès inattendu d'Images and Words, l'album suivant est attendu au tournant. Finis les rêves et la fantaisie, son nom est Awake et il est résolument plus sombre.
Les riffs de John Petrucci se font plus tortueux et torturés. La voix de James LaBrie si claire et légère sur l'album précédent devient rugueuse, âpre. Les claviers de Kevin Moore se muent en orgue funéraire sur The Mirror. Les rythmes ne sont pas nécessairement plus complexes mais peut-être plus agressifs et perturbants.
La production de l'album s'améliore considérablement, rendant justice à la précision chirurgicale des instrumentalistes.
En résulte un son beaucoup plus froid, d'où les couplets accrocheurs, les mélodies kitsch et les refrains épiques ont presque disparu. Même sur la ballade finale, la sublime Space-Dye Vest, pèse un pessimisme sans nom.
Conséquence directe : l'album est très opaque, peut-être le plus difficile d'accès du groupe. Difficile de trouver des points d'accroche pour l'oreille à la première écoute, il est facile de glisser sur les 75 minutes de l'album sans en retirer grand chose ; le coup de cœur sera difficile.
Rejeté par de nombreux fans à sa sortie, l'album sera progressivement réhabilité car il fait partie de ceux qui se bonifient à chaque écoute. Même si quelques morceaux laissent toujours un peu sur la faim, on finit conquis par la virtuosité de l'instrumental Erotomania, la construction complexe des deux pièces de 10 minutes Voices et Scarred.
Plus que tout, on devient accro à ce soupir qui s'empare du corps à chaque écoute de Space-Dye Vest, ode à la solitude composée par Kevin Moore en guise d'adieu au groupe. On retient l'expiration pendant que se pose cette voix éthérée sur quelques notes de piano, avant de la laisser s'engouffrer dans une guitare distordue façon shoegaze. Le coeur en miettes et l'âme en paix, il ne reste qu'une seule solution : rejouer le morceau, encore et encore...