Astucieusement intitulé B4.Da.$$ (prononcer Before The Money), le premier album de Joey Bada$$ était tout simplement l'album rap que j'attendais le plus en cette année 2015.
J'avais découvert cet artiste en 2012 grâce à son excellente mixtape 1999. Textes truffés de jeux de mots, alternant égotrip et propos plus introspectifs. Productions dans la plus pure tradition du rap new-yorkais des 90's. Que demander de plus pour un gamin de 17 ans ?
Rapidement adoubé par la critique et les légendes du « game », il montrait d'emblée du caractère en refusant une offre de Jay-Z pour rester en indépendant. Et annonçait la couleur : il ne signera pas chez une Major pour moins de 3 millions de dollars.
Une deuxième mixtape solo (contenant le très bon single Unorthodox, produit par DJ Premier) et un projet avec son « crew », la Pro Era, tous deux sortis en 2013, se chargeaient de confirmer le talent du garçon.
Autant dire que l'album, annoncé depuis des mois, était attendu de pied ferme par tous fans de rap east-coast (dont moi, vous l'aurez compris). D'autant plus que les premiers singles, distillés tout au long de l'année 2014, étaient tous très prometteurs.
Je ne vais pas vous mentir, je n'attendais rien de moins qu'un classique de la part du jeune prodige sensé incarner le renouveau d'un rap new-yorkais en plein marasme.
Et... je dois avouer que j'ai été un peu déçu.
Bon, je vais rassurer tout le monde, c'est quand même un très bon premier album.
Le projet est vraiment mature et cohérent. La boucle jazzy et les discrets scratches de Save The Children, qui ouvre l'album, annoncent la couleur. Ici pas de son trap ou pop, pas de featuring avec des gros noms pour booster les ventes. Joey a grandi en écoutant les plus grands, et il a une certaine idée de ce que doit être le Rap. L'aura des légendes de la « Golden Age » est d'ailleurs bien présente tout au long des 15 morceaux (17 en comptant les bonus tracks) qui composent le projet. Mais le MC apporte sa propre touche de fraîcheur et de modernité et évite l'écueil du copiage ou du simple hommage.
Big Dusty, premier single sorti au cours de l'été, en est le parfait exemple. L'ambiance étouffante nous transporte directement dans une ruelle crasseuse de la Big Apple et rappelle immanquablement Mobb Deep. Mais on est rapidement happés par le charisme de Joey qui s'en prend aux fameux « fake MC » qui gangrènent l'industrie.
« Truth is, if it ain't real I don't feel it, if it don't hit my spirit I don't get near it ».
Les morceaux de qualités sont d'ailleurs nombreux. J'ai été conquis par le groove de la boucle de piano de Hazeus View et le beat épuré de Paper Trail$, produit par DJ Premier. Like Me (la version live est sublime) et Piece Of Mind, toujours dans un style mélancolique, sont au niveau.
Côté Bangers, j'ai particulièrement apprécié Christ Conscious, sur laquelle Joey lâche certaines de ses meilleures « lyrical fajitas ».
Mais ma chanson préférée du projet est On & On, produite par Freddie Joachim. L'instrumentale est superbe avec de nombreuses variations qui rendent le morceau encore meilleur au fil des écoutes. Joey Bada$$ se livre comme jamais sur ses amis (et le décès de Capital Steez), ses difficultés dans la vie (« I always spread love but sometimes I sin ») et même sa future mort. Très bon couplet de Deymond Lewis au passage.
Je tiens d'ailleurs à saluer la progression de Joey au micro. Son flow est impeccable sur tous les morceaux. Mention spéciale à Christ Conscious où il est absolument hypnotique. Lyricalement c'est solide sans être génial.
Mais...
Je trouve que l'album manque cruellement de Bangers. Quatre sons street sur quinze c'est trop peu. Et quand je vois le beat de dingue que vient de filer DJ Premier à un groupe anglais lambda (The Four Owls), je suis méga frustré et je n'ose imaginer la boucherie qu'aurait donné Joey dessus.
Black Beetles est le gros gâchis du disque selon moi. Dans les couplets, le flow du MC glisse tranquillement sur la prod brumeuse de Chuck Strangers. Mais pourquoi avoir rajouté cette boucle suraiguë qui rend l'écoute des refrains désagréable ?
Et malheureusement, j'ai trouvé certains sons carrément mauvais. L'instru de Belly Of The Beast est sans saveur. OCB aurait pu passer comme un morceau lambda sans un refrain médiocre. Je passe sur les deux chansons bonus qui sont horribles.
A seulement 20 ans, Joey Bada$$ nous livre donc un très bon premier album, cohérent et sincère. Il montre sa progression depuis son explosion médiatique en 2012. Malgré tout, il manque quelques Bangers pour faire passer le projet au niveau supérieur. Mais je lui fais confiance pour élever encore le niveau au prochain opus...