Badbea
7.3
Badbea

Album de Edwyn Collins (2019)

Quand on est passé aussi près de l’abîme que l’a fait Edwyn Collins, avec deux hémorragies cérébrales consécutives en 2005 dont les médecins pensaient qu’il ne se relèverait jamais, à quoi peut bien ressembler la vie « après » ? En écoutant son nouvel album, "Badbea", déjà son troisième depuis son retour d’entre les morts, on a envie d’écrire : « à la même chose qu’avant, juste en mieux ». Car si l’on sait l’incurable optimisme d’Edwyn, sa foi tellement simple en un lendemain chaque jour un peu meilleur, qui lui a permis de retrouver l’essentiel de son existence d’artiste, grâce également au soutien indéfectible de son épouse / manager, et si l’on admire éperdument cette volonté qui lui a permis de rechanter – alors qu’il ne pouvait plus parler – et de redessiner, alors que sa main droite ne fonctionne plus, "Badbea" est surtout un autre magnifique exemple du talent d’un artiste qui nous aura régulièrement enchanté depuis ses tonitruants débuts avec Orange Juice en 1979. Un disque que l’on peut, non que l’on doit, écouter en ignorant complètement les épreuves qu’il aura fallu traverser pour en arriver là. Car, et c’est là sans doute le plus beau miracle, c’est « juste un autre album de rock anglais classique », réalisé dans une sorte de geste artisanal immuable, avec goût, inspiration et soin. Un album qui se reçoit comme un cadeau à une époque où ce terme est sans doute particulièrement obsolète dans le domaine musical.


Oui, "Badbea", à la différence de son bouleversant prédécesseur, le brillant et intense "Understated" (2013), dévoile un artiste en pleine possession de ses moyens, qui compose toujours des mélodies imparables et les chante avec une conviction rassurante de crooner naturel. Edwyn a presque récupéré sa voix magnifique – certaines chansons pourraient clairement avoir été enregistrées à l’époque de "Gorgeous George" – et son incapacité sans doute définitive à jouer de la guitare est compensée par un backing band qui joue avec un enthousiasme juvénile étonnant.


Alors, "Badbea", business as usual ? Pas tout-à-fait, car cet album décline magistralement cette nouvelle profondeur – peut-on parler de sagesse ? – trouvée par un artiste qui, à ses débuts, pouvait irriter par sa tendance très british à tirer sur tout ce qui bougeait autour de lui dans le domaine de la musique, par une indéniable arrogance qui le rapprochait parfois des Ian McCulloch et autres Liam Gallagher, qui au final ne traduisait que la frustration un peu stérile d’un jeune homme qui ne recevait pas la reconnaissance qu’il pensait mériter. En jetant pour la première fois un regard derrière lui, aussi bien sur ses racines écossaises ("Badbea") que sur ses propres souvenirs de jeunesse ("Glasgow to London", le titre le plus ludique de l’album), Edwyn semble profondément réconcilié avec ses origines autant qu’avec ses dures années de galères et d’insuccès. Et, plus important peut-être, un peu à l’image de ce qu’il avait réussi dans "Gorgeous George" autrefois, il montre un désir de papillonner de la manière la plus libre possible à travers l’histoire et les genres du Rock anglais : il s’aventure « en tombant et en riant » aussi bien sur les traces de ses héritiers Franz Ferdinand que derrière ce qui reste des Stone Roses, allant même – pour la première fois sans doute, chercher une excitation, voire une hystérie inhabituelles sur une longue transe traversée de hurlements de saxophone en folie ("Tensions Rising").


Alors, bien sûr, "It’s All About You" ne sera pas un nouveau "A Girl Like You", mais nul ne saurait honnêtement attendre un tel miracle. Cependant, le magnifique "I Guess We Were Young" viendra s’inscrire tout naturellement parmi les plus belles réussites émotionnelles d’Edwyn, tandis que "Sparks the Spark" paradera aisément un top des meilleures chansons « feel good » de 2019. Et même s’il se conclut dans une certaine mélancolie avec la chanson éponyme, "Badbea" a des chances d’être l’un des plus beaux fleurons cette année d’un Rock anglais que l’on a toujours pensé éternel, mais qui peine en ce moment à nous exciter comme avant.


Finalement, heureusement que nous avons toujours Edwyn Collins avec nous. Et que, à ce rythme-là, c’est parti pour durer encore un bon moment.


[Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/04/17/edwyn-collins-badbea-la-vie-apres-la-vie-est-belle/

Créée

le 30 avr. 2019

Critique lue 131 fois

1 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 131 fois

1

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

190 j'aime

25