Syd Barrett était un personnage fascinant. Surdoué mélodique, précurseur essentiel de la pop, tout cela est à peu près incontestable.
Cependant, il serait plus avisé de remanier la première affirmation en "Syd Barret fut à une époque un personnage fascinant." Car en 1970, trois ans après The Piper At The Gates Of Dawn, Syd n'est plus. Il a déjà chopé ce que ses proches appellent en frissonnant "the look". Ce regard vide, qui pourrait aussi bien être révulsé tant il est évident que Syd a perdu contact avec la réalité. Drogues ? Fragilité émotionnelle depuis la mort de son père ? On ne saura jamais vraiment ce qui retira son don à Barrett. Ses proches, en particulier David Gilmour, ne comprennent pas non plus ce qu'il arrive à leur ami. Impuissants à contrer l'embourbement inexorable de leur ami, les membres du Floyd tentent de lui venir en aide lorsqu'il décide (ou l'a-t-on encouragé ?) de se lancer en solo. Gilmour et Waters produisent son premier album, The Madcap Laughs, que l'on pourra trouver à l'envie génialement défoncé ou affreusement mou. Par la suite, c'est Wright qui remplace Waters à la production de son nouvel album, le présent Barrett. Et voici le club de soutien de Syd présent pour l'aider à réaliser son deuxième effort solo.
Mais là volonté y est elle ? Pas sûr. Syd s'ennuie, ne s'intéresse à rien et comprend à peine ce qu'on exige de lui. Du propre aveu de Gilmour, seul "Gigolo Aunt" a été réalisé en live avec le groupe au complet. Le reste a été enregistré de deux manières différentes ; dans un cas le groupe pré-enregistrait l'instrumentation du morceau et passait la bande à Syd pour qu'il s'efforce de chanter et de jouer dessus, dans l'autre le groupe saisissait au vol des idées de Barrett et se débrouillaient dans leur coin pour assembler ça et le faire ressembler à quelque chose. Et le résultat est prévisible ; un album impersonnel où Barrett apparaît complètement extérieur à ce qui se passe autour de lui. Son chant lancinant d'antan a perdu de sa grâce et est devenu à moitié faux tandis que le groupe qui l'accompagne est en décalage total avec l'instabilité du génie déchu. The Madcap Laughs, bien que mou, soporifique et furieusement hermétique, avait au moins le mérite de représenter l'état d'esprit de Barrett, qui était alors un tant soit peu autonome. Ici, Gilmour & Cie s'efforcent avec la meilleur volonté du monde de canaliser les divagations du junkie, d'intervenir pour lui permettre de laisser un témoignage cohérent, le tout le plus vite et efficacement possible. Du coup, le disque est forcément bâclé, Syd devenant trop imprévisible pour que quiconque ait la patience d'attendre qu'il chie une bonne idée.
Je sauve quand même deux morceaux de cette laborieuse rondelle ; l'entraînante "Baby Lemonade" et la burlesque "Effervescing Elephant" où Barrett semble en pleine possession de ses moyens.
Wright, lucide, témoignera, résumant parfaitement la situation : "Il s'agissait juste d'essayer d'aider Syd de quelque manière que ce soit, plutôt que de s'occuper de donner le meilleur son de guitare possible. Pour ça, laissez tomber ! Tout ce qu'on voulait c'était aller dans le studio et essayer de la faire chanter."
Plus qu'une représentation du talent musical de Syd Barrett, ce disque n'était qu'un moyen de ne pas laisser tomber l'homme durant son déclin. Difficile donc de voir ce disque comme autre chose qu'un brouillon insipide, sa véritable signification étant ailleurs que dans la musique.
L'album est touchant, mais désormais c'est Syd le pathétique junkie qui émeut, plus sa musique.