L'aura extraordinaire d'un album tient parfois au contexte et de l'époque où il a été conçu. L'influence d'un mouvement musical et social peut aussi orienter l'artiste vers d'importants choix artistiques quitte à se pervertir pour mieux vendre. En pleine émergence du punk, Meat Loaf n'a rien du look qui convient. Silhouette enveloppante de ténor ridiculement affublée d'une chemise bouffante à froufrous, parfois de bretelles et d'un gilet sans manche, ce look complètement hors du temps et si rigoureusement américain dans son approche du bon goût impose une figure aujourd'hui iconique qu'on ne peut rattacher qu'à ces opéras rock grandiloquents qui finiront tôt ou tard adaptés au théâtre de Broadway. Ce fut naturellement le cas de ce Bat Out of Hell, monstrueux projet autour de sept propositions artistiques, jonglant entre opera rock, heavy metal, influences gothiques et compositions solaires à la Born To Run, dont Meat Loaf pique ici deux musiciens du E-Street Band, ceux à qui l'on devait une refonte complète du mur du son de Phil Spector. La ressemblance est parfois frappante, jusque dans les sax.
De loin, l'affiche du disque n'annonçait pas particulièrement pareille(s) sensibilité(s), un moto se barre sec ("bat out of hell") d'un cimetière menacé par un dragon, sous un ciel crépusculaire totalement improbable et si heavy. Pourtant, le son heavy ne sera pas toujours de la partie, sauf peut-être quand un génie du nom de Todd Rundgren, auteur de l'extraordinaire A Wizard, A True Star, vient saisir la guitare (en sus de la production) et signe peut-être l'une des introductions de heavy metal les plus étourdissantes jamais entendues, dans tout ce qu'elles ont de plus ampoulées et empathiques. Donc forcément grandiose. Dans une logique de redéfinir les codes du glam rock, de féminiser cet univers ultra machiste, Todd Rundgren apporte sa part de féminité (qu'il exposait abondamment à l'époque quitte à choquer les ménagères) aux vocales d'Ellen Foley dans le bordélique et multigenre Paradise By the Dashboard Light. L'album n'est pas toujours facile à digérer, se plait à envoyer valser Ziggy Stardust et Queen dans les cordes et perd un peu de sa superbe le temps de ballades sirupeuses à souhait, dignes d'une comédie musicale, sans doute la clé d'un succès planétaire encore aujourd'hui : il s'en est vendu plus encore que Rumours, autre cousin sensible.