A la fois bande originale, concept album et délire expérimental, "Batman" est un peu le mal aimé des fans de Prince. Il s'est pourtant vendu comme des petits pains, porté bien-sûr par la Bat-Mania de 1989 liée au film de Tim Burton dont il constitue la moitié de la B.O. En effet, si Danny Elfman, compositeur attitré de Burton s'est chargé du soundtrack "traditionnel", ajoutant au bat-mythe son thème inoubliable, Prince quant à lui a composé les 9 morceaux de cet album, certains apparaissant lors de scènes clefs du film. On peut ainsi entendre "Partyman" ou "Trust" lors des apparitions les plus spectaculaires du Joker.
Alors pourquoi mal aimé ?
Déjà, il n'y a pas vraiment de hits à la hauteur de ceux qui peuplaient "1999" ou "Purple Rain", du moins c'est ce qui revient souvent au sujet de l'album. Pourtant les titres "Trust" ou "Vicky Waiting" ne manquent pas de potentiel et certaines parties de guitare sont de haute volée.
Ensuite, et c'est curieux pour un album associé à un film extrêmement populaire, l'aspect expérimental rend l'écoute de ce "Batman" parfois assez éprouvante. C'est pourtant cet aspect qui donne une valeur ajoutée à l'album lors d'une deuxième ou troisième écoute. On se surprend à remarquer foule de détails amusants ou ingénieux dans la composition des morceaux.
"The Future", sorte de funk-sombre agrémenté de notes symphoniques qui semblent empruntées à quelque classique du cinéma noir, ouvre l'album en annonçant la couleur quant à son contenu fourmillant, en fait exactement comme le film qui lui est associé. Cette chanson est censée être l'oeuvre de Batman lui même, intéressant pour les fans du héros, voici une vision originale de sa personnalité. "Electric Chair", "Partyman" et "Trust" sont les morceaux associés au Joker (et interprétés par lui si on en croit les notes du livret), ils sont donc tout naturellement les plus bariolés de l'album, dansant et entrainants, ponctués de répliques de Jack Nicholson. "The Arms of Orion" et "Scandalous" apportent leur touche de romantisme un peu cul-cul (surtout dans le duo Bruce Wayne/Vicky Vale de la première) tandis que "Vicki Waiting" et le superbe "Lemon Crush" sont d'efficaces morceaux pop de la fin des années 80 comme Prince sait les faire.
Reste la fameuse "Batdance". Collage assez malin de différentes répliques des protagonistes du film ainsi que de différents morceaux précédents. Ce morceau s'étale sur plus de 6 minutes de funk exprérimental bricolé par un Prince curieusement inspiré par ce thème imposé de Batman. Alors oui, ça sonne très fin 80s, oui c'est kitsch, mais, une fois qu'on se pique au jeu, il faut reconnaître que ça marche, et même très bien. L'intégration des répliques est astucieuse, bien plus intelligente que de simples collages, ("Stop the press ! Who is that ?") et les nombreux "Batman !" semblant tout droits sortis du générique de la série des années 60 prêtent à sourire. Le solo de guitare comme dit plus haut est quant à lui d'une virtuosité surprenante (enfin si on a oublié que Prince est un guitariste de génie).
"Batman" est donc à prendre avec des pincettes, il faut déjà accepter qu'il s'agisse d'un album aux sonorités typiques de cette fin 80s et qu'il soit associé à une campagne marketing comme on n'en avait encore jamais vu. Même après ça, il faut réussir à passer outre le sentiment de perplexité de la première écoute, là, l'album révèlera toutes ses qualités. Même dans une discographie hétéroclite, il occupe une place particulière, Prince s'étant curieusement effacé derrière le projet, (n'affichant d'ailleurs que le bat-logo en couverture tandis que le livret ne comporte qu'une seule photo de notre megalomane supposé parmi de multiples images du film), s'offrant ainsi le luxe, aux frais de la Warner et de son bat-bulldozer de livrer un album contenant certaines de ses expérimentations les plus intéressantes.
I-Reverend

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