Benji
7
Benji

Album de Sun Kil Moon (2014)

Pris dans un vertige de mélancolie, l'ancien leader de Red House Painters fait marche arrière dans le temps. De plusieurs années en fait. Non seulement pour ressusciter la veine chagrine de l'ancien groupe, mais aussi pour révisiter ses souvenirs ensevelis.
L'album est teinté du début à la fin par une sombre nostalgie. La plupart des morceaux racontent de mort, d'expériences lointanes d'enfance ou d'adolescence qui sont devenues à jamais inaccessibles ; un sentiment de perte définitive traverse l'opus, renforcé par cette absence de véritables refrains dans les lyrics, comme si le chanteur voulait simplement nous raconter des histoires pour s'en débarrasser et en faire le deuil. Il peut s'agir de sa cousine morte dans un incendie ("Carissa"), de son père qui lui enseignait le respect et l'amour pour le prochain ("I Love My Dad"), de ses premiers amours ("Dogs") ou de lui-même en train de regarder le film-concert de Led Zeppelin ("I Watched the Film 'The Song Remains the Same'") : tout se passe dans le plus grand minimalisme, comme pour faire mieux sentir le texte brut qui gratte derrière les guitares folk, comme pour te faire vibrer sous la peau le son des regrets personnels de l'auteur.

Dans ses meilleurs moments, "Benji" retrouve les heures les plus touchantes d'un Leonard Cohen, le Springsteen décharné et morne de "Nebraska" ou de "Ghost of Tom Joad" voire même des fois le dernier Nick Drake qu'on a su après-coup si proche du suicide. Mais l'ancien rencontre ici le moderne, et les morceaux longs, répétitifs, "dronants" à la façon d'un Gastr Del Sol viennent renforcer le folk-rock suicidaire en même temps qu'ils donnent un relief particulier aux paroles : comme si les mots ne pouvaient plus être contenus par la musique, et les deux flux étaient obligés de rouler sur deux voies différentes en ne se rencontrant qu'occasionnellement.
Régulier autant que décousu, le disque dégage une grande beauté aussi bien dans la souffrance du remords que dans le plaisir de revivre un autrefois plus heureux. Autant dire que pour moi il s'agit clairement de l'un des meilleures oeuvres de la discographie du compositeur, peut-être la plus profonde depuis Rollercoaster.

Je sais pas ce qui est arrivé à Kozelek, mais il devrait déprimer plus souvent si c'est pour faire des albums comme ça.
ReveLunaire
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs albums de 2014

Créée

le 19 août 2014

Critique lue 354 fois

2 j'aime

Rêve Lunaire

Écrit par

Critique lue 354 fois

2

D'autres avis sur Benji

Benji
Elrickh_Peterss
8

Le meilleur Kozelek depuis longtemps

Hyper productif, Mark Kozelek, a le chic pour perdre son auditoire dans un nombre incalculable de sorties. Parfois pour le meilleur, parfois pour le pire... Et c'est avec le meilleur que nous avons...

le 21 févr. 2014

6 j'aime

Benji
kingana
8

Le folk sombre avec l'album Benji de Sun Kil Moon

Sun Kil Moon est le projet solo de Mark Kozelek, ancien membre du groupe d'indie rock Red House Painters, et dont la carrière semblait stagner depuis quelques années malgré les jolis succès d'estime...

le 21 nov. 2014

3 j'aime

Benji
ReveLunaire
9

Sweet, sweet doldrums

Pris dans un vertige de mélancolie, l'ancien leader de Red House Painters fait marche arrière dans le temps. De plusieurs années en fait. Non seulement pour ressusciter la veine chagrine de l'ancien...

le 19 août 2014

2 j'aime

Du même critique

Fear Inoculum
ReveLunaire
6

L'entité générique de Keenan

J'ai envie de parler du grunge minimaliste, sec et violent d'Undertow ; j'ai envie de gloser autour des courtes bizarreries qui ponctuent l'intense AEnima ; j'ai envie de débattre des délires de...

le 30 août 2019

27 j'aime

9

La Route de la servitude
ReveLunaire
4

Un plaisant classique de la manipulation

Vous voulez connaître le nom du premier ouvrage de philosophie politique qui applique systématiquement le point Godwin ? Cherchez pas plus loin, La route de la servitude est bien ce...

le 14 août 2013

22 j'aime

3

Mark Hollis
ReveLunaire
10

Elégie au silence

"Le silence dépasse tout ; j'aimerais mieux entendre une note que d'en entendre deux, et j'aimerais mieux entendre le silence que d'entendre une note". (Mark Hollis) J'ai essayé d'écrire au sujet de...

le 28 févr. 2019

10 j'aime