Feu d'artifice ! Champagne ! Tout le monde à poil ! Faites pleuvoir les billets, les confettis et la bière ! La fête bat son plein, l'école est loin et cette Rolls va nous emmener conquérir le monde !

A cette époque Alice Cooper explose, on voit le chanteur partout, "School's Out" a fait son boulot et il est désormais un personnage populaire, on le voit aux côtés du Colonel Sanders (mais si, celui du KFC, un autre tueur de poulets, mais d'une autre envergure) comme de Salvador Dali, qui en 1973 réalise un hologramme à l'effigie de notre sale sorcière. "Billion Dollar Babies" évoque tout à fait cette euphorie, cette fête apparemment sans fin, un rien malsaine et assurémment grandiose.
Le groupe est sur les routes depuis bien longtemps et il commence un peu à fatiguer, il se repose donc un peu plus sur Bob Ezrin qui produit une fois de plus un album savamment dosé et braqué sur les charts. Quelques morceaux seront, en raison de cette fatigue, appuyés par quelques musiciens de studio ce qui peut expliquer un côté apparemment plus lisse que sur les précédents efforts. Pourtant, si chaque morceau semble calibré pour le succès, avec refrains entêtants et mélodies accrocheuses, les thèmes évoqués sont toujours savoureusement empreints d'humour noir, parfois franchement glauque.

Ca commence en fanfare, par l'explosif "Hello ! Hurray !" qui montre l'étonnement du groupe face à son propre succès. Alice Cooper exulte tout au long de cette chanson mégalomane, de la montée en puissance de l'intro au feu d'artifice qui éclate lors d'un jouissif "god I feel so strong !". Les choses sont posées, ce ne sera pas un album intimiste.
"Raped and Freezin'" reste sur la même énergie, avec une nette tendance au glam, mais sur le thème du viol collectif. Le morceau suit les tribulations malheureuse d'un jeune naïf, de Santa-Fe à Chihuahua, qui termine donc littéralement, seul et à poil au milieu de nulle-part. A nouveau, la fin du morceau est particulièrement bien trouvée, d'une cinglante ironie avec ces "Olé" de la foule assistant au triste spectacle. On y entend outre l'ambiance glam, des passages mexicanisants particulièrement festifs.
"Elected" relance la fête, pour le coup il s'agit d'un morceau emblématique, un des nombreux succès qui parsèment cet album et qui n'est pas des plus modestes ! A l'époque la chanson est soutenue par un clip, ce qui est encore novateur, qui montre le groupe en pleine campagne électorale, Rolls Royce et singes à l'appui devant une foule dubitative. (ces scènes ont été tournées dans les conditions du direct, la plupart des réactions sont donc réelles). Les plus fidèles remarqueront cependant que la chanson a quelque chose de familier, pour cause, il s'agit d'une relecture du morceau "Reflected" paru sur le premier album du groupe "Easy Action". Il y a eu un gros remaniement ministèriel, et de pastille psychédélique, "Reflected" est devenu un monstre rock, culminant au sommet de sa tribune. Les paroles sont particulièrement drôles, teintées d'un joyeux cynisme politicien. Le slogan "Everyone has problems and personally I DON'T CARE!" exprime tout à fait l'esprit du morceau. A voté.

"Billion Dollar Babies" commence sur une batterie comme un moteur, des guitares en alarme et une fois le rythme lancé ça ne s'arrêtera jamais. Appuyé par la présence du sympathique Donovan, qui double ici la voix du chanteur avec un accent à couper au couteau, lors d'un refrain calqué sur celui de "Tell me to my Face" des Hollies comme un clin d'oeil 60s. On y parle de violence et de harcèlement sexuel, deux bonnes raisons de faire la fête (?) et le titre est issu de la surprise du groupe de passer de "squatteurs de caves" à celui de stars à qui on "lance de l'argent". La guitare se libère ici un peu plus des sentiers battus et l'energie est palpable. Ce titre remportera un immense succès et il ne quittera guère les set-lists du groupe puis du chanteur. Petits chanceux, si vous possèdez le vinyle, vous remarquerez qu'un énorme billet d'un billion de dollars est glissé dans la pochette, de quoi vous acheter quelques friandises.
Quoique abuser des sucreries n'est sans doute pas une bonne idée, "Unfinished Sweets" est là pour le prouver, puisque chez Alice Cooper, une scéance chez le dentiste peut se révéler aussi périlleuse qu'une mission de James Bond. La chanson décrit cette infâme torture, vissé sur le fauteuil d'un dentiste hésitant et l'esprit embrouillé par le gaz anésthésiant. Cette fois on renoue avec le rock psychédélique des débuts, la fraise se mèle à la guitare le morceau semble partir en roue libre en même temps que l'esprit du malheureux patient, changeant sa mélodie rock mais naïve en thème de James Bond hystérique. L'opération est un succès, avec solo épique et tension dramatique, non sans douleur !
Le groupe retrouvera James Bond sur l'album suivant, avec un thème de "Man of the Golden Gun" finalement non utilisé pour le film, on en reparlera.

"No More Mr Nice Guy" est l'un des hymnes d'Alice Cooper, incontournable en concert et drôle de perle rock. Avec cet humour auto-dépreciatif caractéristique du chanteur, la chanson évoque les problèmes liés à la célébrité, aux effets secondaires d'une image négative et les répercussions sur l'entourage (chien y compris). Le riff est reconnaissable dés les premières notes, encore un peu glam, et spécialement entrainant. Les paroles, très drôles donc, vous donneront envie de gueuler en coeur sur le refrain et de faire de ce titre votre nouveau credo dans la vie.
Et ça n'arrête pas ! "Generation Landslide", relance la machine à hymnes. Le chanteur s'époumone sur le gueulard "ladadadada" et évoque à peu près tout ce qui fait la société de la fin 60s début 70s : la Corée, le Vietnam, l'argent, le consumérisme qui éxplose, l'émancipation des femmes. Ce n'est pas une protest song à la Dylan, même s'il y a de l'harmonica, mais un excellent morceau très rock méconnu.
"Sick Things" ralentit le tempo drastiquement. Il s'agit vraissemblablement d'un hommage aux fans du groupe (désormais appelés ainsi par le chanteur sur les différents réseaux sociaux) mais pas vraiment d'une façon élogieuse. Sur un ton plus qu'inquiétant il déclame sa délectation à être ainsi vénéré par cette troupe maladive. Le morceau est parcouru de bruitages étranges faisant penser à des bruits de chaînes et d'aboiements d'une meute de chiens. Heureusement qu'on sait bien que rien de tout ça n'est très sérieux.
Et là arrive "Mary Ann". Avec son piano intimiste tout droit sorti d'un bar enfumé. le chanteur adopte une voix claire, qu'on lui connait peu, comme sur le "Alma Mater" de "School's Out", très Paul MacCartney et chante son amour désespéré à cette Mary Ann qui se révèle être, surprise, un homme !
C'est encore d'amour qu'il s'agit à la fin, toujours l'amour ! Bon, l'amour pour les morts, le titre est sans équivoque "I Love the Dead" et les bruitages salaces ne laissent guère place au doute. La chanson commence dans une noirceur inquétante, menaçante, "I have other uses for you, Darling" annonce le chanteur à la dépouille alors que ses proches peinent à sècher leurs larmes. Mais il ne s'agit pas de gâcher la fête pour des questions de légitimité des orientations sexuelles, fussent-elles d'inclinaison nécrophile, au contraire ! "I Love the Dead" est la conclusion qu'il fallait à cette explosion qu'est "Billion Dollar Babies", la monté en puissance est galvanisante et on se plaira à s'époumoner sur la coda à la "Hey Jude" simpliste mais un peu dérangeante quand même.

Un peu comme "The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars", "Billion Dollar Babies" est un album en miroir qui met en scène la starification d'un groupe en même temps qu'elle a réellement lieu. Honnêtement, il n'y a rien à jeter et c'est tout naturellement que l'album arrive régulièrement en tête des classements des travaux d'Alice Cooper et se place même en bonne position dans les classements rock tout court. Ce sera bien-sûr un succès retentissant aux USA ou en Angleterre, la France échappant plus ou moins au phénomène comme souvent. Il en reste une collection impressionnante d'hymnes, de morceaux incontournables à l'énergie communicative et parfaitement accessibles. L'idéal pour commencer à se pencher sur la tumultueuse carrière de cette sorcière pas si vilaine qu'est Alice Cooper.
I-Reverend

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