Black Clouds & Silver Linings est sûrement un des albums les plus controversés chez Dream Theater, et pourtant à mon sens c'est l'un des plus intéressants, un concentré de ce que Dream Theater fait de mieux.
À première vue, un des principaux reproches qu'on peut faire à cet album, c'est son criant manque de cohérence : on passe de la brutale A Nightmare to Remember à la ballade sucrée Wither en passant par The Shattered Fortress (point final à la suite des alcooliques anonymes). Quand on parle du groupe qui a fait des albums aussi cohérents, aussi construits que Metropolis Part II ou Six Degrees of Inner Turbulence, ça fait un peu mal quand-même.
Ajoutez à cela que l'album suit deux albums assez peu inspirés, Octavarium et Systematic Chaos et il y a de quoi avoir peur. Mais pourtant cet album contient plusieurs joyaux inestimables, et on peut le comparer à un recueil de nouvelles : plusieurs histoires qui se suivent sans forcément se ressembler, mais n'en sont pas moins intéressantes et dignes d'intérêt. Chacune des pistes apporte son originalité et est remarquablement construite.
Passent ainsi par nos oreilles, successivement :
-A Nightmare to Remember, un accident de voiture que Dream Theater nous conte avec une brutalité qu'on ne leur connaissait pas : au programme riffs fuligineux et quelques growls,
-A Rite of Passage, une histoire de société secrète qui me séduit particulièrement par son refrain mystique et ses solos torturés,
-Wither, la petite ballade qui pourrait être écœurante si elle durait plus longtemps et n'était pas agrémentée d'un magnifique solo de Petrucci. Pour ma part elle passe très bien et permet une petite pause entre les autres compositions qui ont pour point commun d'être longues (74 minutes, 6 pistes).
-The Shattered Fortress, comme dit plus haut dernière pièce de la suite des alcooliques anonymes, si elle n'est pas désagréable s'insère assez mal dans l'album. Mais écoutez-vous la suite en entier et elle prendra tout son sens.
-The Best of Times reste pour moi un immense solo où l'on se perd en rêvassant et en se rappelant ses meilleurs souvenirs d'enfance.
-The Count of Tuscany enfin est la piste qui rattrape l'album, lui donne tout son sens, le transcende et me donne envie de lui mettre un point de plus. C'est la piste avec laquelle je fais découvrir le metal progressif aux gens qui veulent le découvrir (voire à ceux qui ne veulent pas), et celle avec laquelle je répond quand on me dit que Dream Theater ne se renouvelle plus. Elle fait partie sans aucun doute du club très select de mes chansons préférées du groupe. Un étranger se retrouve par hasard embarqué vers un château toscan, mais celui-ci cache bien des mystères... L'ambiance n'est pas sans rappeler la maison Usher de Poe. C'est l'occasion pour Dream Theater de développer une atmosphère unique et fascinante, tour à tour effrayante et apaisante, mais aussi de démontrer encore une fois leur incroyable maîtrise des rythmes, des temps et des riffs improbables. Les parties s'enchaînent à merveille et sont toutes extraordinaires. Un chef d’œuvre.
C'est aussi un album virtuose, Jordan Rudess et John Petrucci rivalisent de vitesse et de technicité sans jamais tomber dans le pédant, James LaBrie fait montre de recherche et sa voix n'est presque jamais désagréable comme elle a tendance à l'être de plus en plus, et Mike Portnoy signe avec cet album un adieu magistral.
Dans cet album, Dream Theater font ce qu'ils savent faire de mieux, du Dream Theater. Certes ils n'ont presque pas changé la recette depuis les premiers albums, mais ils le font si bien. Ce qui place cet album au dessus des deux précédents selon moi, ce sont ses compositions riches, inspirées, travaillées, originales. Même si Dream Theater n'a pas tellement avancé et ne prend pas de risques, ces morceaux sont originaux, nouveaux, beaux, et moi, ça me suffit.