Blade Runner (OST)
8.3
Blade Runner (OST)

Bande-originale de Vangelis (1994)

Depuis les années 60, Vangelis a composé un paquet de bandes originales pour le cinéma. Elles sont loin d'avoir toutes rejoint la postérité, mais outre les partitions écrites pour les documentaires de Frédéric Rossif (Opéra sauvage, La Fête sauvage, L'Apocalypse des animaux...), trois d'entre elles sont inscrites au fer rouge dans l'histoire de la musique de film : Les Chariots de Feu, 1492 et Blade Runner.


Des trois, cette dernière est sans doute la plus importante. Parce que la plus novatrice, la plus révolutionnaire, en adéquation totale avec le visuel époustouflant du film de Ridley Scott. Dans les années 80, nombre de productions emploieront des compositeurs utilisant des synthétiseurs, mais aucune n'atteindra la perfection de Blade Runner.
La raison en est simple : si Vangelis fait de la musique électronique, c'est sans aucun doute parce que ce médium en particulier est le seul à lui permettre de tout maîtriser de A à Z, écriture, composition, orchestration, enregistrement, mixage... Solitaire et mystérieux, Vangelis est un démiurge autodidacte dont la liberté est le moteur. Un artiste, aussi, dont les influences sont nombreuses, depuis les chants traditionnels grecs aux musiques du monde en passant par le jazz, le blues, le rock, la pop et, bien sûr, la musique classique.


C'est nanti de tout ce savoir que Vangelis écrit pour le grand écran. Et même dans une partition aussi science-fictionnelle que Blade Runner, la large variété de sa maîtrise musicale est à l’œuvre, pour fondre totalement sa palette électronique dans l'image, sans que l'incursion étrange de ces sonorités ne choque jamais l'oreille.
Dans le cas d'un film dont les visuels et le récit sont aussi sidérants et atypiques, cette musique devient même une force. Les premières secondes collent d'emblée au siège, images et bande sonore (effets compris) en symbiose parfaite. L'ouverture de Blade Runner en vaut bien d'autres, à commencer par celle de 2001 : Odyssée de l'Espace, et a toute sa place au panthéon des prologues les plus saisissants du Septième Art.


Sur disque, Vangelis a choisi de mêler la musique à des extraits du long métrage. Ce pourrait être irritant, faire perdre de sa saveur aux compositions. Il n'en est rien, preuve supplémentaire que, dans ce cas précis, le film et sa musique sont inextricablement liés. Les voix mystérieuses des comédiens, Harrison Ford en tête, deviennent instruments à leur tour, se posant en contrepoint des nappes graves, des basses profondes, des sons majestueux et des effets surnaturels entremêlés par Vangelis.


Il ne faut pas croire, cependant, que la bande originale concoctée par le compositeur se résume à de longues et prégnantes ambiances synthétiques. Certes, le "Main Titles" d'ouverture et le titre suivant, "Blush Response", construit sur un savant entrelacs de séquences obsédantes, jouent cette partition, tout comme le superbe "Blade Runner Blues" et ses quasi neuf minutes de rêverie électronique, ou la douce conclusion de "Tears in rain", qui vient reposer l'oreille après la célébrissime tempête du "End Titles", entre cordes majestueuses, séquence de basse énervée, cuivres poisseux et martèlements de timbales martiales.


Mais on trouve aussi le célèbre "Love Song" convoquant le saxophone langoureux de Dick Morrissey ; ou le jazz suave de "One more kiss, Dear". Juste avant, la voix aérienne de Mary Hopkin se pose en douceur sur quelques notes électroniques qui tombent comme des gouttes d'eau au milieu d'un choeur profond ("Rachel's Song").
On parle encore de voix ? Celle, singulière et si reconnaissable, de Demis Roussos, vient parsemer "Tales of the Future" d'incantations inquiétantes. Avant d'enchaîner en souplesse avec l'atmosphère orientale de "Damask Rose"...


On le voit, Vangelis nous fait voyager d'un univers à un autre, d'une ambiance à une autre, sans jamais perdre en cohérence grâce à la densité de sa palette sonore. Le disque qui en résulte restitue parfaitement l'esprit du film - oui, mais en partie seulement.


Car l'histoire de cette B.O. est singulière. La version dont je viens de vous parler ne paraît qu'en 1994, soit douze ans après la sortie du film. Dans l'intervalle, aucune sortie officielle, alors même que la musique est célébrée et révérée avec constance durant tout ce temps.
Seul maigre lot de consolation : sur la compilation Thèmes (1989), qui regroupe plusieurs grands thèmes composés par Vangelis - dont plusieurs n'ont jamais été édités sur disque -, on peut enfin découvrir trois extraits de la bande originale : "End Titles", "Love Theme", et "Memories of Green", issu par ailleurs de l'album See you later.


Il faut en réalité attendre jusqu'en 2007 pour obtenir une édition digne de ce nom. Je n'irai pas jusqu'à dire "intégrale", mais en tout cas bien fournie, puisque elle comporte trois disques. Le premier est celui que nous connaissions depuis 1994. Le second regroupe douze autres compositions, plutôt synthétiques et atmosphériques, qui forment un bloc compact et permettent une nouvelle immersion dans le film de Ridley Scott.


Le troisième, enfin, est plutôt un cadeau bonus, puisque Vangelis y offre douze nouveaux morceaux, composés spécialement pour l'occasion, en essayant de retrouver l'esprit du long métrage tout en assumant de paraître 25 ans après la sortie initiale de ce dernier.
L'expérience est sympathique mais ne réserve aucun choc, et s'avère plutôt composite. On y entend de nombreuses interventions vocales, qu'il s'agisse d'intervenants du film (Rutger Hauer, Ridley Scott, Edward James Olmos) ou d'autres personnes, proches ou non de Vangelis (la pianiste Akiko Ebi, Roman Polanski), à qui le musicien a demandé de s'exprimer librement tandis qu'il les enregistrait.
C'est donc un Vangelis sampleur de voix qui s'amuse dans ce BR25, tout en tapissant la galette de balades sonores qui célèbrent Blade Runner sans le trahir, ni le magnifier non plus.


Quoi qu'il en soit, ce travail particulier est incontournable dans le parcours de Vangelis. Si ce que l'industrie du disque en a produit n'est pas totalement satisfaisant, cela reste une étape à laquelle s'arrêter longuement.


(Et, désolé, cette chronique est fort longue... Je croyais ne pas trop savoir quoi dire cette B.O., et finalement... Bref. Je ferai mieux - donc plus court - la prochaine fois.)

Créée

le 30 mars 2020

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ElliottSyndrome

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