La composition de Hans Zimmer et Benjamin Wallfisch pour le film Blade Runner 2049, sorti plus de trente ans après l'original, n'a pas été très bien reçue par nombre de gens, notamment parmi les fans du premier volet et de sa bande-son mythique signée Vangelis, dont je fais partie.
Moi-même je dois reconnaître que je n'ai guère été impressionné lors de mon premier visionnage ; je trouvais même qu’il s'agissait d'un des rares points négatifs d'une suite qui m'avait bluffé et extrêmement enthousiasmé. Il faut dire que la barre avait été mise très haute par Vangelis (cf ma critique de son travail sur Blade Runner) et que je ne suis généralement pas un grand fan de Hans Zimmer.
Le temps a cependant fait son effet, et après au moins cinq ou six visionnages en un an et demi, je dois dire que cette B.O m'a plu davantage à chaque fois. Voici donc mon plaidoyer pour la défense de la bande-son de Blade Runner 2049.
Tout d'abord, je dois féliciter Zimmer et Wallfisch pour leur indépendance. Après le refus de Vangelis de collaborer au film de Denis Villeneuve, ils auraient pu céder à la facilité et se contenter de marcher sur les plates-bandes du Grec, en pompant sur son travail immense et somptueux du premier film. Il n'en est rien, tous deux ayant décidé d'apposer leur propre version de l'univers sonore et musical du Los Angeles de 2049. Ainsi, les emprunts sont rares tout du long des deux heures et demi de BR2049: le claquement sourd en ouverture du film, les sifflements plaintifs récurrents durant les thèmes 2049 et Joi, une utilisation parcimonieuse de Sinatra qui rappelle One More Kiss, Dear, et bien sûr la reprise de l’emblématique Tears in the Rain en toute fin de film, qui a provoqué les miennes, de larmes, la première fois au cinéma.
Pour le reste, tout est exclusif. Ce qui distingue le plus la musique de BR2049 de celle du premier opus, c'est incontestablement son uniformité. Pas de jazz, pas de chant en arabe, pas d'instruments traditionnels thaïlandais ici, tout est électronique et parait sorti de la même bouche, pour ainsi dire. Le résultat a maintes fois été qualifié de "bourdonnements incessants" ; de fait, il s'agit essentiellement de variations des mêmes ondes, d'un flux et d'un reflux d'intensité variable.
Je suis le premier à déplorer l'abandon des multiples références employées par Vangelis, surtout celui du jazz, lequel contribuait grandement à la dimension néo-noire du film de 1982. Cependant, en se remettant dans le contexte de ce deuxième volet et de ce que Villeneuve essaie d'y faire, la froideur oppressante de la B.O de Zimmer et Wallfisch prend tout son sens : le monde de 2049 est encore moins accueillant que celui de trente ans plus tôt. Sous la férule de Niander Wallace, le brutalisme est à la mode, et la société de consommation encore plus envahissante qu'auparavant. Même la chaleur authentique des speakeasies tels que celui de Taffy Hughes, aussi glauque fut-elle, semble appartenir au passé. Place aux distributeurs de boissons et de nourriture en pleine rue, aux maisons closes vitrées et aux hologrammes à la maison.
Ainsi, le thème musical de Wallace lui-même illustre bien cette évolution. La séquence chez son prédécesseur Tyerell était accompagnée du son de clochettes chinoises et bips-bips, pour un résultat un peu inquiétant mais somme toute assez chaleureux et sexy. Le thème de Wallace en revanche est à l'image de son quartier général : sombre, énorme, écrasant, omniprésent. La voix de basse est celle du brillant Avi Kaplan et rappelle les chœurs mongols. Le leitmotiv est simple, grandiose et sinistre, comme les locaux du nouveau magnat de l'industrie androïde. À noter que sa compagnie utilise le thème du petit garçon de Pierre et le Loup de Sergueï Prokofiev, symphonie où chaque instrument représente un être vivant. Plutôt approprié pour une entreprise qui crée des réplicants, et très bien vu de la part des concepteurs du film.
Pendant ce temps, la nature a presque totalement disparue, elle qui est l'une des plus grandes pourvoyeuses d'inspiration pour la musique et toutes les formes d'art. De par son instrumentalisation plus classique, le thème Sapper's Tree est ainsi le plus "authentique" de tous, mais fait également penser à la complainte d'un mourant…
Mais d'une manière générale, la B.O de BR2049 n'est pas moins immersive que celle du premier film. Simplement, je pense que là où l'œuvre de Vangelis nous transportait dans un monde foisonnant, celle de Zimmer et Wallfisch nous immerge dans la psyché et les émotions "factices" du personnage principal du film, le réplicant K, joué par Ryan Gosling. D'où l'artificialité des instruments électroniques et le jeu des ondes venant symboliser le tourment de ce robot en quête d'identité – Furnace et Someone lived this en étant les points d'orgue, presque insoutenables de tension – jusqu'au combat titanesque de Sea Wall, qui rappelle les vagues et les embruns d'une mer en colère, puis la plénitude reposante de Tears in the rain, lorsque le personnage est enfin en paix. J'ai remarqué en voyant récemment First Man de Damien Chazelle que Gosling a un visage très "musical", en ce que le stoïcisme de ses personnages, en le contraignant au silence, l'oblige à jouer de son regard, lequel a le pouvoir de danser avec la musique et le spectateur.
Mon seul véritable regret réside, et c'est dommage après tout ce bon travail, en le générique de fin. Là où Vangelis nous réservait à bien des égards le meilleur pour la fin avec un déchainement synthwave intense, Zimmer et Wallfisch se contentent de reprendre plusieurs thèmes précédemment utilisés dans le film. Cela rend le générique, déjà illisible, encore plus insipide et retire un peu de puissance à la fin du film. J'ignore quels étaient les délais de composition, aussi ne jetterai-je pas la pierre à l'Allemand et à l'Anglais, mais ce n'en est pas moins regrettable.
Quand je me souviens comme l'ami Hans peut être bourrin sur des films comme Pirates des Caraïbes ou The Dark Knight, ou comment il a pu donner l'impression de s'endormir sur son orgue dans Interstellar, je me dis qu'il a tout de même donné son maximum sur BR2049, et grâce lui soit rendue pour cela. Alors oui, cette B.O n'a pas un dixième de la richesse de celle de Vangelis, mais si son but était de nous immerger plus profondément encore dans le monde de 2049 et surtout ceux qui y vivent, alors la mission est remplie avec brio. Toujours plus d'uniformité, de modernité aux dépens de la tradition et de l'authenticité, telle est l'évolution du monde dans lequel nous vivons et qui se rapproche dangereusement de celui du film, et cela, le duo Zimmer-Wallfisch l'a bien compris…