En dépit de deux tentatives successives d’attirer l’attention du monde sur leur second album, le très accompli, et diablement séduisant I Don’t Belong Anywhere, et malgré des prestations scéniques torrides, les Anglais d’October Drift n’ont pas réussi encore à imposer leurs chansons, pourtant évidentes… Le troisième album d’un groupe est, on le dit en tout cas, celui qui doit affirmer son style de musique, qui devrait avoir atteint une sorte de maturité : est-ce que cette règle fonctionne pour un groupe qui n'a pas encore trouvé son public, alors qu’il est persuadé de disposer de chansons capables de séduire la Terre entière ? Cette affirmation restant toutefois à nuancer : des chansons qui auraient séduit le public des années 90, biberonné au Nevermind de Nirvana, c’est-à-dire goûtant la qualité de mélodies bien écrites noyées dans un déluge de guitares agressives.

Car oui, October Drift ont pris comme point de départ la recette victorieuse de Nirvana – auxquels ils rendent un hommage discret en répétant « Oh Denial / oh Denial » au milieu du titre de leur nouvel album, Blame The Young. Mais October Drift sont également un groupe anglais, ce qui veut sans doute dire qu’ils connaissent aussi le truc pour écrire des tubes de « musique de stade », de ces chansons à reprendre en chœur en allumant des briquets – pardon, des écrans de téléphones portables -, comme à un concert de U2 ou de Coldplay. Et on ne peut pas s’empêcher de penser que c’est cette ambitieuse tendance à l’emphase remplaçant la douleur existentielle bouleversante de Kurt Cobain qui mine la crédibilité du groupe. Comme si cette musique était trop « attirante » pour être vraie, était trop mature, en fait, pour être exhibée sur des t-shirts d’adolescents ou de jeunes adultes en 2024. Mais ces réflexions personnelles, que l’on peut lire comme positives ou négatives, n’empêchent pas de prendre du plaisir à écouter Blame The Young. Un album qui mélange savamment des mélodies puissantes, des émotions brutes et des thèmes universels. Qui tente un équilibre risqué entre introspection et énergie explosive, en s’inscrivant dans l’héritage sonore du rock indie, de la power pop la plus lustrée, et, donc, au départ, du grunge.

« It’s how you carry yourself / And everyone else / It’s what you do when you’re young / And nobody’s son / Its complete overload / It’s just withered and bowed » (C’est la façon dont tu te comportes / Et tout le monde / C’est ce que tu fais quand tu es jeune / Et quand tu es le fils de personne / C’est une surcharge totale / C’est juste flétri et biaisé) : Blame The Young – la chanson-titre – est une entrée en matière énergique, véhiculant des sentiments de défi, d’angoisse, mais aussi d’espoir. Si, comme son titre l’indique, elle incarne a priori le caractère « jeune et rebelle » du groupe, le texte se révèle plus malin que ça, et s’ouvre peu à peu vers une anxiété plus universelle, montrant que le sentiment de ne pas être en phase avec le monde autour de soi est universel. "Blame the age" , quel qu’il soit, plutôt que « Blame the Young » !

Demons est clairement ce que l’on appelle une hymne, une version épique, voire bodybuildée si l’on veut être un peu critique, du genre d’indie rock que font des gens comme Interpol, par exemple. Le refrain est irrésistible, pour peu qu’on cherche cette sorte de catharsis dont le « rock héroïque » savait nous gratifier. Nothing Makes Me Feel (The Way You Do) est ce qu’on appelle une « belle chanson » à l’atmosphère propre à séduire les cœurs tendres… même si les guitares continuent à parader sans honte. On remarquera aussi une ligne de basse bien fichue. Wallflower est l’étape logique suivante : une ballade à la fois accrocheuse et pleine de romantisme, qui sait néanmoins rester dans les limites de la sobriété, soit le genre de choses dont U2 a perdu la recette il y a très longtemps. Don’t Care clôt la première face dans un paroxysme d’intensité, dont on peut imaginer qu’il fonctionnera idéalement sur scène, en fin de set, pour instiller un dernier sursaut d’énergie aux fans déjà essorés.

Everybody Breaks entame la seconde face de manière très accueillante, avec une autre mélodie efficace et surtout un beau crescendo émotionnel, à l’effet garanti en concert. Borderline et Tyrannosaurus Wreck fonctionnent tout aussi bien et nous permettent de valider que le chant de Kiran Roy est le juste véhicule à des « sensations Rock » pas toujours originales, mais efficaces. Les grincheux se plaindront que ces titres n’apportent pas grand chose de nouveau par rapport à ce qu’on a entendu jusque là, mais pas d’inquiétude, le meilleur reste à venir : Hollow est le titre le plus convaincant de tout l’album, car il part comme un mid tempo très « commercial » grâce à une mélodie irrésistible et facile à reprendre en chœur dès la première écoute, jusqu’à ce que quelque chose de plus intense naisse de cette musique un temps trop polie pour être honnête. La rage qui explose finalement a quelque chose de plus vrai, de moins formatté que l’énergie que dégage la majorité des chansons de l’album. Cette impression se confirme d’ailleurs avec la chanson qui suit, la plus longue du disque avec ses 5 minutes trente, Heal : il est d’ailleurs paradoxal que ce soit en fin de seconde face, là où les groupes cachent la plupart du temps leurs titres les plus faibles, que se nichent les deux chansons les plus « vivantes » d’October Drift.

Not Running Anymore démarre alors comme la conclusion introspective, touchante, que l’on attendait pour un album qui a tendance à rouler un peu trop les mécaniques, mais on n’échappera pas à l’inévitable crescendo, qui, certes, matérialise la maturité atteinte par le groupe sur ce troisième album. Comme il se doit.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/12/10/october-drift-blame-the-young-un-equilibre-risque/

Créée

le 10 déc. 2024

Critique lue 5 fois

Eric BBYoda

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