La page est tournée, les Stones se mettent à faire un skeud comme Dylan. S'il est concevable aujourd'hui de mettre des standards de grands crooners des fiveties interprétés par Dylan ces trois dernières années en fond sonore pour tamiser l'ambiance et lui donner une dimension élégante et raffinée ("c'est Dylan qui chante aussi bien?"), écouter au final d'une oreille peu passionnée le dernier des Stones, derrière là, en fond, en dit long sur la déception annoncée avant même la sortie de l'album.
Pour se préparer à l'événement, une dizaine d'années après A Bigger Bang qui apportait avec lui, au détriment de toutes les critiques habituelles depuis les années 80 à leur encontre, une vraie fraîcheur dans sa première partie électrique (avant une seconde moitié moyenne, mais tout de même), on se refait une culture rapide avec l'écoute religieuse de gros classiques en mono, dans des versions très propres sorties il y a peu, un ou deux tonnerres sonores avec le crade et "révolutionnaire" A Beggar's Banquet" et leur premier double qu'on ne présente plus.
Et on se rappelle rapidement que l'harmonica chez Jagger n'a jamais été l'instrument incontournable des Stones bien que dynamisant la plupart des grands shows live et apportant, notamment sur Exile on Main Str. un vrai sens du rythme par petites touches. Se dandinant comme un serpent sous acides, du Midnight Rambler au Champagne & Reefer de Buddy Guy (dans une ahurissante version pour Shine a Light de Scorsese), Mick Jagger le maîtrise non pas comme Neil Young avec le sien ou Dylan quand il souffle très fort dedans. Il me rappelle l'utilisation que Lou Reed en ferait, mais lui avec sa guitare : un doigté certain et unique pour une petite technique.
Dans Blue & Lonesome, l'harmonica est omniprésent. Débordant dans les ouvertures de nos haut-parleurs, coulant comme un gros son qui tâche. C'est vilain, ça regarde constamment dans le rétroviseur de ses plus fortes influences. Le bues, qu'il soit célèbre ou inconnu de tous, reste du blues. A vouloir déterrer des vieux standards qui ne soient ni de Robert Johnson ni de BB King, les Stones nous servent quand même du blues : inconnu de tous, oui, mais pourtant si familier. On se goure d'ailleurs aussi sur les morceaux où la guitare de Clapton est présente car elle pourrait l'être sur n'importe lequel, béni soit-il au demeurant.
Quand les Stones jouent un blues en hommage à tel ou tel artiste en concert, ce n'est pas le moment le plus marquant. Ce n'est ni Brown Sugar ni Some Girls. C'est la parenthèse en forme d'hommage aux racines pures des Stones. C'est pourquoi Blue & Lonesome fonctionne comme un intéressant document qui nous rappelle quelles ont été les influences de ces gaillards et que la boucle est bouclée, en attendant les sempiternels compilations et concerts médiocres à paraître tous les ans.
En revanche, en tant que "premier album studio depuis a Bigger Bang", on pouvait s'attendre à autre chose que des démos réalisées pour le fun et mises sur galette. Et on ne critique pas ici le talent des Stones, mais bien leur direction artistique. Doom and Gloom paraît déjà si loin.