Il est loin le temps où « la langue » créée par John Pasche symbolisait un esprit rebelle ou une provocation sexuelle, laminée par le temps et l’exposition continuelle elle ne représente plus qu’un logo mercantile comparable à celui de Coca-cola. Alors cet appel en « bleu, blanc, rouge » sur le dernier album des Stones fait flop, sans doute censé attiré le chaland et aguicher le client, il ne dévoile qu’un côté « vieille pute » qui rebute et afflige, plongeant le client, une fois dégoté l’objet sur la gondole et écouté l’album, dans la perplexité : « Quelle pochette aurait méritée cet album ? »
Elle aurait pu être en noir et blanc, et même surtout en noir ! Le véritable précédent album des Stones date de 2005, je parle des albums qui comptent, avec un contenu nouveau et créatif, pas des multiples sorties de concerts anciens destinés à entretenir la nostalgie et nourrir la légende… A Bigger Bang, un album qu’il est souvent de bon ton de dénigrer ou de négliger, belle erreur à mon avis car il est foutrement bon et surpasse largement les sorties des années quatre-vingts. La critique se montrera plus indulgente avec Crosseyed Heart, l’album solo de Keith qui bénéficiera d’une image moins conventionnelle portée par une bio qui se vendra bien.
Un album en noir donc, mais il faudra y mettre également du bleu. Les Stones n’ont jamais caché qu’ils avaient puisé l’essence même de leur musique en imitant les joueurs de blues américains. Cet inspiration essentielle ils n’en ont jamais fait mystère, ne manquant jamais de le signaler dans les interviews et en côtoyant ici ou là quelques vieilles gloires errantes du blues. Pour ça, Gloire à eux ! Sans doute n’approuvaient-ils pas l’injustice faite à la musique noire qui n’arrivait trop souvent à la réussite commerciale qu’une fois interprétée par des musiciens blancs !
Cet album est donc centré autour du blues. Entièrement, même mieux, toutes les compositions sont des reprises, les Stones n’étant ici que des interprètes, comme si une boucle se fermait et qu’ils retournaient à l’esprit de leurs premiers albums. Le choix des titres est stimulant, des reprises d’auteurs célèbres comme Howlin’ Wolf, Otis Rush ou Jimmy Reed, mais en sélectionnant habilement des pièces qui n’ont pas été de grands hits, réservant ainsi le plus souvent une découverte à l’auditeur aux aguets. Les Stones mettent également à l’honneur des musiciens un peu moins connus qu’à l’habitude, ainsi, le compositeur le plus repris c’est le chanteur-harmoniciste Little Walter auteur de quatre titres, dont Just your fool et Blues & Lonesome.
L’harmonica est d’ailleurs ici à la fête, Mick Jagger en joue avec un grand professionnalisme, même si on ne l’attendait pas dans ce rôle là. C’est d’ailleurs lui le plus en vue sur cet album, la voix bien mise en avant : ce timbre unique qui nous chavire depuis plus de cinquante ans ! Derrière ça assure grave, sur les tempos rapides, médiums ou lents, les guitares tricotent avec habileté, il faut dire que le son est en prise directe, ce qui évoque les enregistrements d’autrefois, à l’époque de Chess ou d’Arhoolie Records. La surprise c’est l’arrivée d’Eric Clapton sur deux morceaux qui les illumine du même éclat qui brillait à l’époque de Sticky Fingers, quand Mick Taylor tenait la guitare solo, particulièrement sur « I Can't Quit You Baby », un des meilleurs titres de cet album.
Pour les amateurs de blues qui adoreront cet opus, les réfractaires eux, patienteront encore un peu…