Soyons honnêtes : en 1972, année faste du point de vue musicale, entre les explosions d'artistes comme Neil Young ou David Bowie, nous n'avions pas du tout remarqué ce premier album d'un groupe new-yorkais au nom bizarre, Blue Öyster Cult : sa pochette géométrique intrigante avait seulement attiré notre attention dans les bacs de notre disquaire, sans que nous allions plus loin. Il faudra attendre les articles délirants d'Yves Adrien lors de la sortie de l'album suivant, "Tyranny and Mutation*" pour que notre intérêt s'éveille pour ce groupe... qui deviendra l'un de nos favoris pendant les 15 ans qui suivirent. Un groupe qui a encore suscité notre excitation en 2020 avec son retour discographique. Comme quoi...
Généralement considéré comme le brouillon pas encore parfait de l'album suivant, "Blue Öyster Cult" tient pourtant bien l'épreuve du temps (50 ans déjà !), d'abord parce qu'il est une collection de morceaux formidables, en particulier sur sa première face, dont on pourrait même prétendre qu'elle reste l'une des faces les plus réussies du groupe. On y découvre cinq joyaux mélodiques, de "Transmaniacon MC" - ouverture imparable, hard rock si l'on veut (on y reviendra) à "Before the Kiss", magnifique assemblage de rythmes et de sons, en passant par une première version sautillante du futur classique "The Red & The Black" (curieusement intitulée "I'm on the Land but I have no Sheep" !) et par le premier morceau littéralement divin de Buck Dharma Roeser, l'immortel "Then Came the Last Days of May", qui donne lieu à la première grande démonstration de virtuosité de ce soliste hors pair... Et bien sûr, la venimeuse attaque contre le charity business qui envahit le Rock de l'époque, "Stairway to the Stars". Eric Bloom chante magnifiquement, la rythmique des frères Bouchard est à la fois puissante et d'une élasticité étonnante par rapport à ce qui se pratiquait en général dans le hard rock. Et, si l'on y réfléchit bien, il y a déjà là l'intégralité de la recette étonnante de la musique de la "secte de l'huître bleue" : du hard rock classique 70's - façon Steppenwolf,si l'on veut... - qui sait swinguer quand il faut, une inventivité mélodique constante, et des harmonies vocales qui lorgneront de plus en plus du côté de la côte Ouest (des Byrds par exemple).
Le groupe, qui est avant tout le projet personnel du producteur Sandy Pearlman, n'a finalement pas grand-chose de new yorkais dans son style, même s'il va rapidement rallier bien des adeptes dans le milieu artistique de la Big Apple. Car Pearlman a recruté pour développer sa "vision" d'un heavy metal moderne, nourri de science-fiction, mais aussi provocateur comme on aimait l'être à l'époque, des gens qui ont beaucoup plus de talent que la moyenne : outre le duo Bloom-Roeser, on a là Allen Lanier, musicien émérite introduit dans tout ce qui se fait de bien musicalement à New York (et ami/amant de la grande Patti Smith), et surtout les frères Bouchard, dont le brillant Joe Bouchard, compositeur lui aussi inspiré, qui offrira au BÖC certains de ses meilleurs morceaux.
Si la seconde face avait été aussi bonne que la première, nous aurions eu entre les mains un autre chef d'œuvre de 1972, mais malheureusement ce n'est pas tout-à-fait le cas... même si, a posteriori, on se réjouira de ces dérapages bizarroïdes qui montrent que le groupe ne va pas rentrer gentiment dans une case bien définie : mis à part la tuerie de "Cities on Flame with Rock'n'Roll" chantée par Albert Bouchard, les 4 autres titres passent du psyché bien allumé ("Screams", "She's as Beautiful as a Foot") à la country allègre ("Redeemed"), sans que l'on sache si l'on doit prendre ça au sérieux ou bien en rire. Finalement, avec le recul, la seule vraie faiblesse de cette seconde face, c'est la version mal fagotée et pas très bien produite de "Workshop of Telescopes" de Joe Bouchard, titre superbe pas vraiment mis en valeur ici...
Quand on pense que ce n'était là que le début d'une longue histoire qui nous tient encore éveillés aujourd'hui !
[Critique écrite en 2021]