1979 est une année capitale dans l'histoire de la musique moderne, les derniers chefs-d'œuvre des seventies pointent le bout de leur nez (The Wall, Tusk...), et les punks se rendent compte que savoir jouer de leurs instruments, eh bien ce n'est pas mal non plus ! On assiste à l'émergence de la new wave, et l'album dont nous allons parler aujourd'hui en est un exemple flagrant. Broken English est le septième album studio de Marianne Faithfull, paru le 2 novembre 1979 pour Airstream, filiale de Island Records.


Les seventies furent difficiles pour Lady Marianne, elle n'est pas la muse qu'Andrew Loog Oldham avait imaginé, non, elle est plutôt addicte aux drogues dures. Petite nièce de l'écrivain Leopold von Sacher-Masoch, elle est repérée au milieux des années 60 par le dit Oldham, à l'époque manager des Rolling Stones, qui décide de la faire chanter. Jagger et Richards lui écrivent "As Tears Go By", jugée trop mièvre pour leur groupe, mais parfait pour Marianne, ce sera un grand succès. Elle se marie et a un enfant avec John Dunbar, célèbre galeriste et artiste anglais du mouvement FLUXUS, instigateur de la rencontre entre John Lennon et Yoko Ono, puis divorce pour se mettre avec Brian Jones, membre des Stones, puis finalement le quitte pour rejoindre Mick Jagger. J'espère que vous avez bien suivi !


On peut qualifier le couple Jagger-Faithfull comme le couple iconique du Swinging London, frayant partout, tout le temps et avec tout le monde. Elle joue au cinéma (Anna de Koralnik et Gainsbourg, Made In USA de Godard), au théâtre, et fait des albums, pop dans l'âme. Elle commence à se droguer à cette période, où tout semblait doré.


Tout s'effondre lorsqu'une overdose menace sa vie, et que le spectre de la mort de Brian Jones vient hanter les folles sauteries du Swinging London. Jagger la laisse tomber, et elle tombe dans drogue, la dure, la vraie. Les seventies sont une traversée erratique pour Marianne Faithfull, on la voit avec Bowie en 1973, un peu au théâtre et au cinéma, sans que cela soit très mémorable. Elle enchaîne les conquêtes temporaires, et vit dans des squats. Sa voix change fortement durant cette période, cela dû aux excès de certaines substances.


Elle signe un contrat chez Nems Records, qui lui fait enregistrer un album de country, Dreamin' My Dreams (ressorti ensuite sous le titre Faithless, amusant n'est ce pas ?), flop prévisible quoique l'album ne soit pas si inintéressant que cela. Elle assemble un groupe en 1976, et tourne dans les clubs cependant elle manque de chansons solides à son répertoire. Au fil de cela, Marianne rencontre le poète anglais Heathcote Williams, qui vient de mettre au point "Why'D Ya Do It", texte trash qu'il destine à Tina Turner. Marianne saura le convaincre, ce sera la dernière piste de son album.


Island veut la faire enregistrer, elle choisit de le faire avec son groupe. Elle rassemble des chansons, pas mal de reprises, qu'elle remaniera façon post-punk, new wave. Elle enregistre au Matrix Studios, un trou à rat londonien sans air pur ni lumière. L'ingé son est le légendaire Bob Potter, vétéran des séances des Who, et le producteur Mark Miller Mundy, qui recollaborera avec Faithfull. L'album est un grand succès, le public punk fut séduit par l'attitude destructrice de l'ex-fiancé de Mick Jagger


Il n'y a aucune faute dans les huit pistes de l'album, aucune chanson n'étant pas à sa place. Il y a un certain nombre de reprises, mais toutes choisies avec goût, et toutes en rapport. Car oui ! L'album fut fortement influencé par l'addiction de Marianne Faithfull aux drogues dures. "Brain Drain" parle d'un couple tentant de se défaire de l'héroïne, tandis que "What's The Hurry" raconte une journée passée dans l'attente du dealer.


La chanson-titre est un furieux réquisitoire sur la situation britannique en 1979, avec l'élection de la conservatrice Thatcher au poste de Premier Ministre. "Broken English" est un superbe exemple de new wave, avec cette batterie imperturbable et ce synthétiseur entêtant. Il y aussi "Witche's Song", parlant de la mère de Marianne, ayant toujours entretenu un rapport étrange aux arts occultes.


Le titre le plus connu du disque est la mélancolique "Ballad Of Lucy Jordan", formidable dans son genre et apparaissant dans plusieurs films comme Thelma Et Louise de Ridley Scott en 1991. La reprise du "Working Class Hero" de Lennon est étonnante, cet arrangement post punk/new wave est en totale opposition avec la version très folky de Beatle John, mais c'est audacieux et réussi.
Enfin, "Guilt" est selon moi la meilleure piste de Broken English. C'est un funk furieux, avec une basse magnifique, qui rythme ce morceau des plus intéressants


Broken English est donc un sans faute, et la voix de Marianne, grave, rocailleuse, sensuelle, donne à ce disque une saveur unique. On parlera aussi de cette sublime pochette, signée Dennis Morris, où la chanteuse se cache le visage, tenant une cigarette au tison rouge vif presque fluorescent, tirage bleu sur fond noir. On peut indubitablement parler du meilleur album de Faithfull, sublime ensemble s'écoutant d'une seule traite.


Elle réitèrera, quatre ans plus tard, avec Dangerous Acquaintances, au style rock plus classique, mais moins marquant.


A écouter dans le noir...

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le 7 févr. 2022

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