Si je devais donner à la musique un but en tant qu'art plutôt qu'en tant que divertissement, ce serait de réussir à lui donner une couleur, une texture, des formes... Bref un vision qui s'imposerait à l'auditeur de manière assez inexplicable.
Ainsi, je vois souvent en écoutant le In a Silent Way de Miles Davis une magnifique représentation sonore des tableaux de Kandinsky dans ce qu'ils ont de plus chaotiques et étranges (et inversement, lorsque je vois du Kandinsky j'entends Davis dans ses moments les plus enfiévrés). Dans un autre genre, la sensation d'écrasement par le bizarre donnée par le groupe Gorguts me fait toujours penser à ce tableau de Bacon, et la voix suave mais mélancolique de Frank Sinatra nous rappelle de manière plus évidente à la solitude des tableaux de Hopper.
Compte tenu de la radicalité de ce premier album des américains de The Dillinger Escape Plan, on sera sûrement à même de trouver un équivalant visuel : sans doute dans le bouillonnement organisé de Jackson Pollock, allié à la dureté, la violence des coups de pinceau de Basquiat.
(Vous constaterez à la vue des références picturales ci-dessus que ma culture dans le domaine est toute relative. N'hésitez pas, si vous en connaissez, à me recommander des peintres dont la violence serait plus radicale que celle de Pollock, et dont les représentations seraient plus abstraites que celles de Basquiat. Je vous en serai éternellement reconnaissant.)
Radical, cet album l'est, assurément, au point où l'on pourrait abandonner toute tentative d'assimilation complète de l'oeuvre, pour pleinement se laisser aller à ce déferlement d'énergie destructrice, un exutoire à nos frustrations, une cascade nous tombant dessus, nous fouettant et nous écrasant, et dans le même temps nous poussant à lutter pour réussir à nous élever de nouveau. The Dillinger Escape Plan n'est pas le plus grave, ni le plus rapide, car The Dillinger Escape Plan cherche un étrange qui n'est pas étranger : Calculating Infinity parle surtout de nous, du chaos qui germe chez l'auditeur. Et comme disait Zarathoustra : il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Pas facile de danser sur cet album, mais rien qu'essayer est déjà une sacrée expérience.