Kubo et l'Armure magique
7.3
Kubo et l'Armure magique

Long-métrage d'animation de Travis Knight (2016)

(Si vous souhaitez avoir un œil totalement vierge sur ce film, cette critique est sans doute à éviter)


Kubo, par sa technique d'animation nouvelle et son envie affirmée de parcourir des chemins inexplorés, attirait l’œil assez efficacement. À l'image de son esthétique, il s'annonçait dépaysant, jouant sur l'émerveillement tout en gardant un pied dans une morale réaliste.


Et le premier quart d'heure n'est pas décevant. On nous en met plein la vue, et l'enfant qui sommeille plus ou moins profondément en nous ne tarde pas à être réveillé par ces notes de guitare entraînantes. On a même droit à une mise en abyme du spectateur, promettant des moments de connexion avec le héros sans précédent.


Du moins, ça devait être le plan de départ. Car cet aspect, original il est vrai, est totalement gâché par l'écriture du film. Alors qu'il fait de l'immersion son but principal, je n'ai pu à aucun moment plonger totalement dans le film, et les "yeux qui regardent l'âme" que devait être Kubo et l'armure magique m'ont laissés de marbre, à l'image de cet humour qui devient vite forcé.


Les scénaristes, pardonnés d'avance de tous crimes grâce à cette originalité, n'ont pas hésité à montrer au grand jour leurs cordes, bien plus grossières que celles de la guitare de Kubo. L’enchaînement des scènes est probablement ce qui gêne le plus : on suit des péripéties sans rapport entre elles, à part la recherche d'une armure soit disant magique, sensée aider le héros dans sa quête. Comment ? On ne le saura pas, cette armure jouant un rôle de McGuffin grossier (et qui d'ailleurs ne servira à... Pas grand chose). Un peu à l'image de l'entrainement des pouvoirs magiques de Kubo que l'on nous promet, et qui n'arrive... Jamais, tout comme les règles inhérentes à ce pouvoir : on ne sait pas ce qui est possible ou pas, ça vient avec les besoins du scénario. Ça donne à sa maîtrise finale un gout de cheveu sur la soupe, et au combat ultime un manque d'enjeu flagrant. D'autant plus que les motivations du grand méchant sont expédiées en un monologue qui sort de nul part (à aucun moment dans le film le héros n'est tenté de rejoindre son grand-père), auquel Kubo se contentera de répondre par un "Tu as tué ma famille, je vais me venger". Dans la réalité, cette motivation suffit : dans la fiction, ça rend le tout un peu décevant.


Ce schéma de scènes/sketchs occasionne tout de même quelques scènes de haut niveau, rendue réellement prenante par cette animation réussie. La scène des yeux est cauchemardesque, l'introduction des sœurs est glaçante. Rarement un méchant n'aura été aussi bien introduit dans un film d'animation. Malheureusement, on dirait que l'équipe du film était d'accord avec moi, puisqu'ils nous la ressortent à chaque fin d'acte, ce qui rend le tout extrêmement prévisible, autant esthétiquement que dans le déroulement.


En plus de ça, les scénaristes continuent de nous faire coucou en ajoutant des personnages au gré des besoins : les protagonistes se retrouvent coincés ou sans direction, ne t'en fais pas spectateur, la solution leur tombe dessus. Il est également bien pratique de voir que les caractéristiques de ces protagonistes forment un contrepoint parfait aux pièges gardant l'armure. Rajoutez aux scènes de récupération de cette armure la énième introduction des sœurs dans le film, et vous obtenez quelque chose de, certes, esthétiquement réussi, mais qui tombe rapidement à plat.


Le film n'est pas une purge, loin de là. Mais en travaillant leur concept méta, il semblerait que l'équipe a oublié de travailler le matériau de base. Ironique, quand le film vous demande dès le départ de rester concentré, et lorsqu'il s'efforce, avec parfois bien peu de subtilité (surtout vers la fin), de faire la comparaison entre son héros et son spectateur, entre la mort et l'ennui, entre la réalité et la fiction. On se laissera prendre, mais si les souvenirs définissent la personne, comme résume le film, alors Kubo et l'Armure Magique n'est qu'un petit film vaguement novateur, souffrant de terribles lacunes, et qui devrait vite se perdre au fil des années dans la pluie de films d'animation.

Mayeul-TheLink
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le 27 sept. 2016

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Mayeul TheLink

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