Que fait-on quand on est musicien et qu’on a sorti ce que tout le monde s’accorde à dire que c’est votre chef d’œuvre ? C’est très certainement la question que s’est posée Lana Del Rey après le succès critique – et dans une certaine mesure, commercial – reçu par son "Norman Fucking Rockwell" en 2019. Immédiatement après la sortie de l’album, Lana a fait d’ailleurs savoir qu’elle avait d’autres chansons prêtes, mais elle a quand même passé pas mal de son temps depuis sur les réseaux sociaux à s’impliquer – parfois de manière maladroite – dans nombre de sujets « chauds » comme le Black Lives Matter ou la question de l’égalité des sexes… Ce qui lui a valu en retour la traditionnelle volée de bois vert réservée aux artistes « arrogants » et « qui se mêlent de tout »… et ce d’autant que, comme on le sait, la Diva a toujours été coutumière d’excès en tous genre et n’est pas irréprochable (mais si elle l’était, elle ne serait pas autant « rock’n’roll », non ?).


Sauf que si quelqu’un a le droit de parler de l’Amérique aujourd’hui, c’est bien Lana Del Rey, qui est sans doute, même si cela fera grincer les dents des nostalgiques d’une autre époque, l’équivalent du Dylan des sixties pour notre époque : tout simplement la parolière la plus pertinente aux USA… Ce qui nous ramène à notre question initiale : quoi faire maintenant ?


Le choix de Lana est clair dans son "Chemtrails Over the Country Club", et il est double : d’abord parler de / à toute l’Amérique, et plus seulement à cette Californie qui a nourri en grande partie son imaginaire et son mythe ; ensuite, allez formellement vers un dépouillement, sans doute pour que sa « parole » soit perçue comme la plus directe, la plus honnête possible. "Chemtrails Over the Country Club", emballé dans une pochette militante où Lana pose avec des « sisters » de lutte, avec son titre qui évoque, semble-t-il, aussi bien les théories complotistes que le fossé social, est donc un album de… folk ! Il se conclut d’ailleurs par une très belle reprise du "For Free" de Joni Mitchell, chanté avec la participation de Weyes Blood (et de Zella Day…), ce qui est quand même une claire déclaration d’intention. Et certaines chansons parlent de… Jésus, de religion… bref de choses qui agitent l’Amérique « trumpienne » qui n’est pas habituellement le public de Lana, glamour queen aux frasques diverses pas forcément appréciées par tous.


L’ouverture de l’album, "White Dress", est une tuerie : la voix, dans un registre inédit pour Lana (ça ne sera pas d’ailleurs la seule prise de risque vocale de l’album, puisque Lana cherche clairement de nouvelles pistes pour son chant), est bouleversante d’intensité spectrale, et la production minimaliste sert parfaitement le texte évoquant la nostalgie d’un temps où tout était plus simple (« When I was a waitress wearing a tight dress handling the heat / I wasn’t famous, just listening to Kings of Leon to the beat » – Quand j’étais une serveuse vêtue d’une robe moulante, supportant la chaleur / je n’étais pas célèbre, j’écoutais juste Kings of Leon en dansant…).


On se dit qu’il va être difficile de faire mieux que ces cinq minutes trente-quatre secondes inaugurales… mais "Chemtrails Over the Country Club" nous réserve plusieurs autres grands moments : le premier titre dévoilé de l’album, "Let Me Love You Like a Woman", simple, direct et généreux ; l’autoportrait délicat de Lana en artiste à la double personnalité, entre douceur et sauvagerie, avec une alternance, pertinente, du coup, de styles vocaux sur "Wild At Heart", qui constitue également une référence judicieuse au film de David Lynch et à ses amants tendres et sauvages ; et puis le sommet absolu de l’album – oui, encore plus belle que "White Dress" – "Dark but Just a Game", paradoxalement parce que, à la différence de la plupart des autres chansons, elle est d’une redoutable complexité tout en conservant ce sentiment de pureté dénudée : les instruments se succèdent sans s’accumuler, l’atmosphère semble changer à chaque vers ou presque, comme si le soleil et les nuages jouaient à cache-cache, pour illustrer combien la célébrité est un défi permanent, et impose des changements qui se révèlent toxiques. Et puis, il y a…mais non, ça suffit ! Nous voilà comme à chaque fois en train d’énumérer les beautés de chacune des chansons du dernier album de Lana Del Rey


Cherchons plutôt, pour changer, la petite bête à Lana : ringards que nous sommes, nous regretterons l’utilisation – même parcimonieuse – d’une technologie inutile (l’auto-tune), mais nous devons tirer notre chapeau bien bas à la production de Jack Antonoff (… appelé sans doute parce que Rick Rubin n’était pas disponible ! On plaisante…). Et puis, comme souvent chez Lana, les mélodies sont un tantinet pâlichonnes, pas toutes aussi mémorables qu’elles devraient l’être… Pourtant, il faut bien avouer que ce genre de « faiblesse », fatale à bien des artistes, n’a guère d’importance ici tant les atmosphères des chansons sont prenantes, tant le chant est magique, et tant les textes sont subtils et vrais.


Il est temps d’avouer qu’on adore ce nouvel album, et qu’on est très heureux à l’idée qu’il va nous aider à affronter les prochains mois plus que nul autre.


« You make me feel I’m invincible / Just like I wanted / No more candle in the wind… » (Tu me fais sentir que je suis invincible / Tout comme je le souhaitais / Plus question de bougie dans le vent… – "Yosemite").


Merci, Lana.


[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/03/23/lana-del-rey-chemtrails-over-the-country-club-folk-depouille-et-emotions-intenses/

EricDebarnot
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le 27 mars 2021

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Eric BBYoda

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