Chunga's Revenge est un album de guitares virtuoses. Une facette rhythm & blues succulente, désordonnée et d'apparence foutraque tout en étant un grand moment de musique américaine. Il est aussi peut-être le second travail de toute la première partie de carrière de Zappa à s'éloigner des relents provocateurs et outranciers orchestrés avec son band Mothers of Invention et s'oriente furieusement vers du wah-wah bien sexy. En fuyant le concept de collages et bidouillages sonores explosifs, Zappa orchestre à la baguette (cette fois-ci) un Ensemble de haut-niveau, dégoulinant d'électricité et de romantisme suintant (Chunga's Revenge que l'on entendra chez Wong Kar-Wai) quand il ne transfigure tout simplement pas les codes du hard-rock classique : Transylvania Boogie ne débarque pas d'Europe de l'est, mais plutôt des sables d'Egypte. Puis dans la foulée, Road Ladies, dans la plus pure tradition du blues de Chicago examine avec amusement les aléas d'un band sur la route des tournées. Pourquoi attendre plus longtemps pour inscrire du jazz au programme, du piano bar...Twenty Small Cigars fera le travail.
Comme beaucoup de disques de Frank Zappa, à l'exception peut-être d'Apostrophe, chef d'oeuvre bavard et d'une classe folle, la richesse musicale va au-delà de ce qu'un humain normalement constitué peut endurer et comprendre en une ou deux écoutes. Au casque, ça groove avec violence. Sur haut-parleurs, ne vous amusez pas à peindre au même moment où à réparer le frigo, vous n'y entendrez qu'un énième Zappa. Alors qu'en fait non, Chunga's Revenge va encore plus loin dans la déconne et le sérieux, tout en restant carré et précis, sans trop d'esbroufes. De l'art d'aller dans toutes les directions et de retomber franchement sur ses pattes.