Depuis qu'il s'est rebaptisé Mount Eerie, Phil Elvrum s'est doucement ouvert au monde. Il est sorti de son garage, ce même garage où avec ses Microphones il nous avait fait pleurer. Il ne chante plus à propos du matériel d'enregistrement et des difficultés amoureuses. Aujourd'hui, Phil a les mains vertes et chacune de ses nouvelles composition est une nouvelle ode à la nature. Sur Wind's Poem, il avait déchaîné les éléments, s'offrant aux bourrasques des vents les plus terribles. Trois ans plus tard, l'anticyclone est reparu, il ne reste plus que Phil, seul au sommet de son Mont Eerie, à contempler le paysage alentour. À regarder la pleine lune en rêvassant.
Une étrange sérénité se dégage du disque dès les premières écoutes. Un calme contagieux propre au recueillement et à la contemplation. D'ailleurs, Elvrum s'est installé dans une vieille église pour l'enregistrement de l'album, un choix qui n'est sûrement pas innocent... Les expérimentations sonores du bonhomme se sont éloignées du bruit, et c'est maintenant l'ampleur du son qui est à l'honneur. Le plus souvent basés sur des drones lunaires, les morceaux laissent entendre une maîtrise époustouflante de l'espace sonore. Phil contrôle son studio à la perfection, et à l'écoute des 11 compositions il ne nous prend qu'une envie ; nous lover dans un coin du lit et fermer les yeux.
"Through The Trees Pt.2" entame le voyage. Très "terrien", le morceau fleure bon l'époque des Microphones avec sa guitare acoustique et le chant tranquille d'Elvrum. Et même si c'est un des tout meilleurs titres du disque, c'est néanmoins le moins représentatif. Ce n'est que la porte d'entrée, rassurante, bienveillante. Mais dès "The Place Lives", c'est fini. Lorsque les guitares électriques font leur entrée, les proportions deviennent épiques. Phil regarde l'Univers depuis son perchoir, en haut du 'Mount Eerie', et se sent plus minuscule que jamais, chantant que les nuages se moquent bien de sa présence. Aveu aussi bien dépressif ("je suis si petit...") que rassurant ("l'univers est inébranlable, stable...").
Le duo gagnant "Lone Bell"/"House Shape" offre peut-être la plus belle paire de morceaux jamais enchaînée par Phil Elvrum. Le premier, lent et contemplatif, est d'abord hanté par de longues plages de claviers avant que ne viennent s'ajouter des cuivres menaçants et l'inimitable voix d'Elvrum. Le second, quand à lui, pourrait illustrer une marche à travers un désert - pourquoi pas lunaire, tant sa rythmique métronomique (qui a dit krautrock ?) reste immuable, tandis que les arrangements de guitare et de synthétiseurs vont et viennent par vagues, en un flux crescendo jusqu'à l'apothéose finale... Arrivé à son sommet, le disque nous plonge ensuite dans le vide et nous laisse planer au dessus de l'immensité indicible de l'océan, avant de nous faire fondre en piqué en un martèlement furieux de batterie ("Over Dark Water").
Grosse comme une montagne, "Clear Moon" est la piste la plus "volumineuse" du disque. Avec ses percussions lointaines et ses drones pesants, elle rappelle les premiers pas ambiants de Klaus Schulze... "Yawning Sky" est le pendant allégé de son prédécesseur. Le genre de morceau parfait pour se glisser dans un sommeil réparateur, au son d'une guitare apaisée et de drones aériens...
Alors que le disque s'achève, sur des plages de synthé, on est en droit de se demander si Phil Elvrum n'est pas en train d'atteindre sa pleine maturité. Capable de créer n'importe quelle ambiance à partir de son studio, il s'autorise ici trois quarts d'heure de méditation, chez lui à Anacortes. Il suffira à l'auditeur de fermer les yeux et de se laisser lui aussi envahir par cette plénitude revigorante... Histoire de prendre une dernière bouffée d'air frais avant de plonger dans les eaux sombres du petit frère ; Ocean Roar.