"En 1984, Scott fait un retour discographique peu remarqué avec le particulièrement cryptique Climate Of Hunter. Rawhide, le morceau d’introduction, a l’air de répondre au fan interloqué :
« This is how you disappear »
« Voilà comment on disparaît »
Ce possible commentaire méta n’est pas l’unique bizarrerie de cet album. Tous les musiciens ont dû enregistrer leur partie de manière isolée, sans avoir accès à la mélodie principale. En principe, on aime sentir la cohésion entre les instruments, mais Scott considère qu’elle nuirait à la musique qu’il tente de produire. Pareil pour les titres : ils ne sont pas forcément nécessaires, et ici ils trahiraient l’essence même de certains morceaux. Ainsi, sur Climate Of Hunter, on trouve des pistes littéralement appelées Track Three, Track Five, Track Six et Track Seven. Le résultat est loin d’être aussi barré que la première face de Nite Flights, mais on est tout de même face à une incongruité notable. Derrière une section rythmique très marquée années quatre-vingt, Climate Of Hunter introduit sournoisement des concepts sonores qui vont s’imposer par la suite. Au sein de cette sauce qui ne prend pas toujours, la voix de Scott est toujours magnifique mais la mélancolie d’antan a été troquée pour une inquiétude sèche, avec quelques inflexions autoritaires intimidantes. L’écoute est parfois inconfortable, un peu comme devait l’être Scott dans cette décennie qui n’était pas faite pour lui. Les ventes de Climate Of Hunter furent plus basses qu’elles ne l’avaient jamais été pour un album de Scott Walker. On dit que ce fut le plus gros flop historique du label Virgin. L’œuvre s’était pourtant trouvé d’illustres défenseurs, comme Julian Cope ou Marc Almond de Soft Cell, mais ils étaient bien seuls à gueuler dans le vide combien Scott était un génie. Vraisemblablement, lui-même se fichait éperdument de la reconnaissance. Il avait produit l’œuvre qu’il désirait et pouvait s’évaporer à nouveau. Blanket Roll Blues, le dernier titre de Climate Of Hunter qui reprend un texte de Tennessee Williams, a presque valeur de prédiction :
« When I crossed the river / With a heavy blanket roll / I took a few provisions / Some for comfort, some for cold / But I took nobody with me / Not a soul »
« Quand j’ai traversé la rivière / Avec une grosse couverture enroulée / J’ai pris quelques provisions / Pour le confort et pour le froid / Mais je n’ai emmené personne avec moi / Pas une âme »
Et là-dessus, Scott Walker disparut pendant onze ans."
Extrait du podcast Graine de Violence à découvrir ici :
"Scott Walker, la métamorphose du jeune premier"
https://graine-de-violence.lepodcast.fr/scott-walker-la-metamorphose-du-jeune-premier