Chers amis de Sens critique ceci est une nouvelle déclinée en épisodes et imprégnée du contexte de la guerre en Ukraine qui pourrait si j'en avais le temps dériver en roman. A chaque séance d'écriture je baigne dans l'écoute du disque (ou du groupe) excellent que j'utilise pour trouver mes mots. Uniquement des musiques explosives. Si vous en avez le temps je serai enchanté de recevoir vos critiques ou plutôt, devrais-je dire vos ressentis, vos avis. Vos conseils seront aussi les bienvenus.
Bien à vous et merci !
Episode 1 ici : https://www.senscritique.com/album/parrhesia/critique/266840369
Episode 2 ici : https://www.senscritique.com/album/weightless/critique/266878880
Episode 3 ici : https://www.senscritique.com/album/the_madness_of_many/critique/266822733 Episode 4 ici : https://www.senscritique.com/album/the_joy_of_motion/critique/220021677
Episode 5 ici : https://www.senscritique.com/album/omelette_du_fromage/critique/267274444
Episode 6 ici : https://www.senscritique.com/album/fear_inoculum/critique/267544035
Episode 7 :
Voilà, un salopard rencontre un autre salopard et la mort frappe. On aurait pu dire aussi un idiot rencontre un autre idiot et la mort frappe. La bêtise voilà la clé ! On les a aveuglés par la bêtise et la peur, on leur a lié les mains et les pieds. Des hommes instrumentalisent d’autres hommes frappant les uns au moyen des autres détruisant leurs âmes et les réduisant à une simple égalité : Pavel égale Miroslav ! Deux êtres, deux raisons supplémentaires parmi des milliers qui dédouanent les dictateurs et qui donnent une piètre image de la civilisation. Le premier capable de conduire un peloton d’exécution et de commander les mises à mort et puis le soir après avoir bu une bonne bière, pris un bon repas, d’aller se coucher comme vous et moi. Peut-être même a-t-il assez d’entrain pour faire l’amour à sa femme en la regardant dans les yeux, puis affaire faite, lui souhaiter la bonne nuit. Le second se cachant comme un cloporte pour le frisson de cette chasse où le gibier n’a aucune chance « shoot » ses cibles comme à la fête foraine en notant dans son joli petit carnet son triste palmarès. Ensuite quand il en aura assez et si la guerre le lui permet il rentrera chez lui comme on revient d’une expédition en terre sauvage auréolé de gloire et de mystère. Il embrassera ses enfants et ceux-ci le regarderont comme un héros, un modèle. Dans les deux cas on leur pissera dessus des tas de louanges et on leur chiera un maximum de félicitations pour services rendus. Bien sûr tous deux recevront la médaille en chocolat du meilleur tueur de la patrie. Les trompettes chanteront et les drapeaux mettront les cerveaux en berne. Au fond, ils ne sont pas méchants justes les pions faibles de leur environnement et certainement que presque tout un chacun agirait de même si placé au cœur d’une machinerie identique mais pas sur ! Enfin, pour Pavel, ce sera des éloges et une médaille posthumes puisque le destin l’a placé du mauvais côté du fusil ! Donc un homme est mort, un de plus mais cela n’est rien, une peccadille en ces temps troublés sur cette petite Terre larguée dans l’infini. Pendant ce temps quelque part, pas si loin, des soldats tirent sans jugement dans la nuque de pauvres types, d’autres enferment indifféremment hommes, femmes et enfants dans des caves sordides et y balancent des grenades, d’autres se mettent à plusieurs pour violer une femme qui se livre à eux afin d’éviter à sa fille de subir le même sort, d’autres enfin font creuser des fosses à leur victimes pour cacher l’innommable et là-haut, au sommet, dans des palais magnifiques quelques dirigeants se demandent s’ils vont faire exploser le manège. Rien de bien nouveau donc, ces scènes ont été jouées et rejouées des milliers de fois au cours des siècles et toujours l’homme a succombé à ses penchants sordides jamais il n’a pu apprendre réellement, à croire qu’il aime ça !
Au fond de leur trou Kalyna, Larysa, Vitali et Lilia ne se doutent pas de la tragédie que viennent de vivre Pavel et Volodymir. Ils entourent le pauvre Roman qui est une minuscule victime, pour employer le jargon des militaires, collatérale. Une perte insignifiante pour l’univers, immense pour sa mère. Tous pleurent dans cette chapelle que constitue la station de métro, envahis par une tristesse accablante pareille à un orage violent sur une lande déserte. Ils pleurent l’enfant qui ne deviendra jamais, ils pleurent cette mort qui les frôle et qui leur rappelle que leur tour arrivera aujourd’hui ou demain ou dans trente ans, ils pleurent sur l’incertitude de leur sort, ils pleurent sur la guerre et les fous qui la conçoivent, ils pleurent sur la misère du monde, ils pleurent et la peur s’insinue en eux. Elle les coupe, les divise, les dissèque, les empêche de réfléchir, de penser à autre chose qu’à soi. Perdus en eux-mêmes ils sont hagards, vidés et désespérés. Alors doucement comme si une fée effleurait un verre de cristal, comme une inspiration forte après une longue apnée, la voix de Kalyna frêle mais solide perça délicatement le silence sépulcral. Ses bras se serrèrent un peu plus autour de Lilia soudant les deux corps en une seule âme qui brûlait d’une filiation ardente et sa main se crispa sur la main maintenant froide de son fils. Elle laissa les larmes salées, les gouttes de douleur et de chagrin couler jusqu’à ses lèvres qui entonnèrent une douce berceuse Ukrainienne.
Dors, Roman, dors, ferme tes petits yeux.
Je te berce, en chantant les chansons
Dors, Roman, dors mon petit, dors mon cœur.
Dors, ma cigogne, ferme tes petits yeux,
Regarde Kalyna te berce dans ses bras
Dors, Roman, dors mon petit, dors mon cœur.
La musique avait toujours été salvatrice pour Kalyna, presque indispensable même. Elle chantait et faisait couler les notes dans les poitrines pour pénétrer les cœurs. Tous vibraient unissant leurs êtres qui résonnaient comme une cloche d’argent et se laissaient porter par les ondes légères et bienfaisantes. La voix de Kalyna glissait lentement. Elle était une source dans le désert, un petit ruissellement au cœur d’une oasis, un rayon de Soleil après une nuit glaciale. Dans le clair-obscur odieux de la station de métro la beauté agissait tel un baume parfumé rassurant. Larysa prit la main de Vitali qui ne savait que faire, puis se coucha sur ses genoux pour y enfouir sa tête. Elle aurait voulu disparaitre, ne plus être, ne plus avoir été. Dans son esprit une pensée malsaine s’insinuait. L’homme est la ruine du Monde. J’ai été battue, humiliée, forcée. Un homme a provoqué cette guerre. Et pourtant je pose ma tête sur un homme et je m’apaise. Lilia tremblait de tout son corps elle aussi aurait aimé chanter mais n’y arrivait pas toute agitée de tremblements d’affliction. Elle se contenta de s’appuyer un peu plus sur sa mère et ainsi prendre un peu de sa force, un peu de sa chaleur.
Kalyna était le pilier, la colonne vertébrale de cette scène macabre, un repère, la digne continuité de toutes les mères qui enduraient, entouraient et supportaient depuis toujours. Son visage blême et bon ponctué de fines rides, ses cheveux noirs éclaircis par quelques mèches blanches lui conféraient une noblesse sans âge. Elle ne pouvait rien mais instinctivement compris qu’il lui fallait réagir immédiatement. Envers et contre tout elle se retira de son malheur et entama le deuil pour ne pas oublier sa fille qui avait tant besoin d’elle. Il lui faudrait la défendre pour le peu de temps qu’il semblait leur rester. Etre mère cela ne s’apprend pas cela se vit. Il lui fallait plus que jamais protéger. C'était une évidence qui s’imposa à elle encore une fois mais ce n’était plus une charge ni une contrainte, c’était son devoir. Si elle devait mourir alors elle mourrait, elle s’effacerait pour secourir celle qu’il lui restait puisque le destin avait décidé de lui enlever son cher petit Roman.
Episode 8 ici : https://www.senscritique.com/album/renegade/critique/313518873