Pour un artiste qui estimait encore récemment que la jeune génération n'avait plus envie de "groupes à guitares" et qui évoquait un désintérêt de sa part pour cet instrument, avouez qu'un retour de son projet Metal-Progressif devenait fort chimérique ! Et les fans avaient fini par se résigner. Effet de surprise donc, mais gâché par la propension de Wilson à user abusivement du teasing. Premier extrait publié huit mois (!!) avant la parution de l'album, suivi par trois autres publications à la régularité métronomique. As des as quand il s'agit de susciter l'interêt (ou le rejet c'est selon) autours de sa propre personne, le leader historique de Porcupine Tree laisse également planer un doute avec son chois de titre pour cet album : Closure/Continuation. Histoire également de faussement s'offusquer quand les journalistes lui posent LA question concernant cette dichotomie. Question à laquelle les trois compères répondent avec une certaine nébulosité, oscillant d'une patte sur l'autre, point presse après point presse.


Et on coupe le son… Et on remet le son !

Alors, une fois avalée la pillule du passage en caisse, que vaut objectivement cette cuvée résurrectionnelle ? En chœur, nos trois porc-épics en bois annoncent avoir créé-là, sans doute, leur meilleur disque en tant que groupe. Ça ressemble tout de même au nécessaire Kit de Com' de l'artiste en promo, non ? D'emblée, une chose est cetaine, Closure/Continuation n'est pas un mauvais album. Loin s'en faut. Il n'est pas non plus un retour poussif surfant sur les seuls acquis. Mais que penser de la dithyrambe quasi généralisée autours de cet album depuis sa sortie ? Sa principale qualité n'est-elle pas, que cet album comble surtout un vide pour un public circonspect quant aux chemins que se trace Wilson ces dernières années ?

Non, C/C est un vrai bon album ne le nions pas et ne boudons pas le plaisir de retrouver cette formation et notamment l'association rythmique Harrison/Wilson. Le disque est surtout fantastiquement arrangé et produit. Ils deviennent rarissimes les opus respectant la plage dynamique naturelle de la prise de son, sans adjonction de compresseurs outranciers. L’album est inévitablement pensé pour le pressage en microsillon, que l'on rendra disponible également en digital. Et non l'inverse ! Ça change absolument tout.

Soyons tatillons. "Herd Culling" aurait pour le coup mérité un traitement plus moderne, en poussant davantage les niveaux quitte à limiter l’impact des montées en intensité. Qu'on écoute ce titre faisant suite à "Dignity" sur l'édition classique ou suite à "Never Have" sur l'édition triple 45tours 12", la longue introduction parait fade.


Hormis peut-être "Walk The Plank" (personnellement celle qui a le plus attiré mon attention lors de la première écoute avec son absence de guitare et son climat intriguant) et "Chimera's Wreck" (profonde et subtile tant en terme de conception mélodique que du point de vue de son texte), on pourrait regretter une certaine frilosité et un manque de prise de risque. Tout est relatif. Comme pour bien des disques signés de Wilson en solo, un tel opus imaginé et réalisé par n'importe quel autre groupe ou artiste serait élevé au rang de petit bijou. Mais il s'agit là de PT et, osons le dire, une légère déception l'emporte.


Il faut dire que la métrique et l'explosivité de "Harridan" mettait la barre très (trop ?) haut. Envoyé en éclaireur dès décembre 2021, Wilson considère ce titre comme l'une des meilleures porte d'entrée vers l'univers du groupe pour qui, ne ferait que le découvrir. C'est assez juste, il faut bien l'admettre. Rif Incisif, signature rythmique imparable et pourtant pas banale, le son de basse immediatement accrocheurs... c'est un sans faute. Colin Edwin n'est plus là. Pas mal de reproches à ce sujet dans la fan-zone d'ailleurs (comme si leurs histoires de "famille" devaient être confessées en public). Sauf que Wilson balance cash que son ancien bassiste n'avait jamais été créatif au sein de la formation. (Ce qui vaudrait aussi pour Barbieri dans ce cas...?!). Posons la question franco : Peut-on être créatif quand le leader tire à ce point la couverture depuis toujours ? Bref. Et c'est donc Wilson qui lance l'album sur un jeu soutenu de basse graisseuse à souhait, un groove et une intensité communicative. Steven le dit lui-même, un compositeur/guitariste qui se met à la basse, ne fait généralement pas un usage courant de l'instrument et crée des lignes nécessairement plus mélodiques que rythmiques. Et c'est en effet un gros point fort ici. Ajoutez une entrée en matière dont Gavin Harrison a le secret, les touches dissonantes de Richard Barbieri aux claviers, ce premier extrait envoyait du lourd et laissait présager d’un retour en grâce total.


"Of The New Day", seule plage de l’édition classique à n’être signée de la main que du seul Wilson, elle sonne furieusement Porcupine Tree (époque Lightbulb Sun/Stupid Dream), du temps où le backing band composé de Barbieri, Edwin et Chris Maitland n'avait pas vraiment droit de citer). La métrique d’Harrison vient ici, à elle seule, apporter la signature propre au groupe. À contrario, la co-composition avec Barbieri pour "Dignity", plus dimensionnée Pop, semble surfaite. Si l’on excepte le bridge atmosphérique (et encore), le seul coup de patte de Wilson est perceptible. Deux nouvelles pistes de rock délicat à inscrire au catalogue malgré tout.


Nous évoquions "Herd Culling", le troisième titre publié (en une version éditée) en éclaireur était d’ailleurs clairement inférieur aux deux précédents et peut-être, aurait pu se trouver relégué en bonus track. Sans doute parce que plus conventionnel en tous points. Le texte évoque une certaine fascination de Wilson pour le cinéma d'Horreur.

Dans la même veine "Rats Return", est un bien plus réussie. Au delà de la référence évidente à Animal Farm de George Orwell (et donc au Animals de Pink Floyd), cette plage est un PT pur jus qui vous enveloppe et claque à la fois. Et sans doute la piste la plus intéressante à découvrir en instrumental sur l’édition CD augmentée, tant l’arrangement regorge de petites subtilités savoureuses. Derrière les cités Mao Tse Tung ou Pinochet, il faut évident décrypter une critique acerbe du Trumpisme et du clown de Downing Street et une interrogation sur les populistes mégalo envoyés au pouvoir sciemment par leur propres peuples. Constat Amer.


Les deux dernières plages sont les plus éloignées des contrées usuelles de PT, sans doute l’atout majeur de cet album. Comme pour "Walk The Plank", la construction de "Chimera's Wreck", est fort intéressante dans ses variations. Cette dernière se jouant même du click de sorte que l’on peut même se demander s’il y en a un. De la même façon que concernant la prod’, cette approche casse les codes millimétrés d'une publication d’œuvre musicale au 21è siècle. Évoquant le vieillissement et l'héritage, les paroles initiales ont été écrites suite au décès du père de Wilson. Celui qui, de par son métier d'ingénieur, avait fabriqué à son fils les premiers matériels équipant le studio personnel du fiston. Ce au cœur des années 80, quand il n'était pas encore techniquement évident de travailler en dehors des studios professionnels.


Avouons que le placement de "Chimera's Wreck", en clôture dénote un peu. L'album ne parait pas terminé. Et pour cause. Il semblerait qu'écarter trois titres disposés uniquement sur les éditions Deluxe ait été un stratagème futilement mercantile tant, deux au moins de ces trois morceaux auraient dû être disposés sur l'édition classique. De la part d'un type qui ne cesse de critiquer, à longueur d'interviews ou au travers même de ses textes, la société de consommation, le marketing outrancier et le formatage systémique de l'Art par l'industrie censée le mettre en lumière... peut-on admettre ce genre de pratique commerciale, disons, douteuse ? On a l’habitude avec Steven Wilson en solo. Mais déjà du temps de Fear Of A Blank Planet, un tiers du disque était paru à part sur l’EP Nil Recurring. Pour The Incident, c’était un peu plus justifié, le disque étant un concept album et les quatre titres supplémentaires ne s’inscrivaient pas dans la thématique.

Détaillons le cas C/C. L'édition classique (en CD ou 33 tours) reste accessible à tous. Certes. Mais, débourser 70 euros... pour l'édition 45 tours contenant DEUX inédits ou à peu de choses près le même tarif pour l'édition double CD contenant TROIS inédits (plus l'intégralité du disque en sintrumental et un joli livre dont le concept pourrait être pompé à Bowie et dont certaines photos pourraient être tirées des séances promo des première publications solos de Steven, Insurgentes et Grace for Drowning). N’est-ce pas là une façon de sélectionner le public à la taille de son compte en banque ? Un profond malaise souligné sur l'essentiel des chroniques déjà disponibles. Et il est intéressant de noter que ces chroniqueurs désabusés oublient généralement de signaler que, le prix parfaitement rédhibitoire du coffret double CD se justifie avant tout par la présence d'un blu Ray Audio contenant l'album digital (amputé des trois pistes bonus) en stéréo haute résolution, ainsi qu'en Dolby Atmos et en multicanaux... Comment des choniqueurs peuvent oublier ce "détail" ? En fait la réponse est limpide : combien d'audiophiles exigeants choisiront l'édition numérique ?! Et par ailleurs combien de fans sont équipés d'une Hifi capable de restituer nominalement un son stéréo haute définition 24/96, ou encore se trouvent possesseur d'un VRAI Home Cinéma digne de ce nom ?! Put* Steven, dix plages et soixante-cinq minutes ça tient largement sur un CD ! D'autant plus quand le disque finalement publié a été annoncé depuis huit mois laissant filer près des deux tiers de sa substance sur les réseaux, en parutions régulières, dans le but de faire monter la sauce ?! Cette stratégie est sans doute juteuse pour l'industrie mais elle est assez stupide et irrespectueuse vis-à-vis du consommateur. Et le chaland (dont je suis) est tout aussi crétin de se laisser prendre au jeu... Pire ! Les nombreuses vidéo persos "unboxing Closure/Continuation" tendent à prouver que les acquéreurs de ce disque ont acheté plusieurs éditions à des fins de comparaisons.

De l’avis général, mais je n’en ai pas fait l’expérience moi-même, l’édition qui vaut le plus le coup doit être le box set triple 45RPM. Rien de nouveau sous le soleil, le 45tours a toujours été le support offrant, et c’est un aspect de pure electro-acoustique, le meilleur rendu audio. Pourquoi donc faire paraitre également une édition 33tours amputée des bonus track ? Oublions le 33 et pressons d'avantage de triples 45, histoire de faire baisser les coûts !

Passons.


L’instrumental "Population Three" est une petite pépite cosignée Harrison/Wilson, dimensionnée pour l’expression totale du premier des deux. Quant à "Never Have", Wilson y est lui-même : mélodiste hors pair qui vous fait passer un titre de Pop assez conventionnelle au rang de plage Rock atmosphérique de belle facture. Le rejet de "Love In The Past Tense" comme bonus disponible uniquement pour les éditions Digitales parait, pour le coup, justifié. Un titre qui ne casse pas des briques. Cela dit, techniquement parlant il aurait été possible de le placer également dans le coffret triple 45tours…


Quant à la classification d’ensemble, Wilson a toujours exprimé une sorte de désaveu à l’étiquette Prog’ qu’on lui colle de manière tenace depuis toujours. Et il n’a pas tort. Son seul disque de véritable Rock Progressif, demeurera sans doute The Raven That Refused to Sing (2013). On ne peut pas décemment parler de Metal non plus ici. Pop serait trop réducteur. C’est sans doute un atout que de n’être pas facilement classifiable. PT trace un chemin qui ne peut être que le sien. Et aussi étonnant que ça puisse paraitre de nos jours, cet album hors format et sans genre clairement défini va tutoyer le sommet des charts (britanniques of course) dès sa sortie. Et même en France, les ventes se portent plutôt bien. Alors Steven, les groupes à guitares ne sont que des reliques du passé ? ou les "vieux" sont encore un public-à-satisfaire suffisamment conséquent pour qu'on le caresse dans le sens du poil ?


And Then There Were [Porcupine]Three.


Le trio insiste sur ce point dans sa communication (langues un peu trop pendues pour être honnête d’ailleurs) : le processus créatif chez PT n'a jamais été aussi collaboratif. Ce que corrobore en effet les crédits. Et ils font bien de le souligner lourdement en interview car… ce N'est PAS nécessairement perceptible de prime abord ! Richard Barbieri assure avoir davantage proposé d'idées atmosphériques que par le passé et qu’il y a eu pas mal d’allers-retours entre lui et son leader. On retrouve pourtant des textures finalement assez habituelles sur un disque de PT. Pas davantage que jadis, Richard ne s’est retrouvé dans une pièce à répéter avec ses deux complices pour faire tourner des thèmes dans le but d’élaborer un nouvel opus de groupe. Quand on lui donne la parole, Barbieri laisse transparaitre une sorte de complexe d'infériorité quant à ses facultés de musiciens. Complexe qui pourrait expliquer ce retrait dans la phase d'élaboration, le temps de concevoir des modeler ses paysages sonores. Gavin Harrison et Steven Wilson, eux, évoquent de longues séquences de jams en duo (Basse/Batterie). Et pour le coup c'est un assez évident quand on observe la construction de chaque plage signée de ces deux-là. La raison pourrait être l’approche similaire en termes de création que peuvent avoir Steven et Gavin. À savoir tendre à ne jamais proposer deux fois le même pattern. Jamais deux fois la même suite d’accords. Malgré tout, globalement, les marqueurs principaux, qu'ils soient mélodiques ou atmosphériques demeurent toujours attribuables au seul Wilson. On pensera tantôt à Blackfield, tantôt à Storm Corrosion, ou encore à ses disques solos du temps où il émargeait chez Kscope. "Walk The Plank" pourrait, elle, sortir des nombreuses bonus track de Future Bites. S'ils ont véritablement été plus investis pour la part créative, il semblerait qu'Harrison et Barbieri se soient malgré tout coulés dans ce qu'ils estimaient que Wilson pouvait attendre d'eux. On aurait donc pu imaginer une évolution plus marquée des constructions mélodiques et rythmiques. En particulier après douze ans d'absence et de nombreux projets, variés, pour chacun des trois membres. À jamais, et quoi qu'ils en disent, PT demeure le projet de son leader plus qu’une véritable œuvre de groupe.


Paradoxal System


La pandémie a peut-être aussi rebattu quelques cartes, Wilson ayant annulé purement et simplement son Future Bites Tour qu’il aurait pu reporter sine die. L’hyperactivité manifeste du lascar aura sans doute motivé en partie le retour au gros Rock à guitares. Est-ce donc bien le coronavirus et le coût des différentes annulations qui a eu raison de sa tournée solo ?... Parce que l'argument des pertes sèches dues à la situation sanitaire devrait valoir aussi pour PT dans ce cas. Or la tournée en groupe s'organise visiblement sans anicroche et sans trop de craintes, alors même que le virus circule encore sacrément !...

Wilson a d'ores-et-déjà annoncé deux disques en 2022-23. Le suivant sera probablement en solo. Il sera donc intéressant d’analyser la forme (et le fond) de ce prochain opus pour nous éclairer, peut-être, sur son revirement atypique de 2020.


Closure/Continuation est donc un opus artistiquement soigné, ne sonnant pas trop "plat réchauffé", merveilleusement bien produit, à la stratégie commerciale agressive et sélective… Nul doute, il s’agit bien d’un nouveau Porcupine Tree. S’il doit être le dernier, il fait plutôt bien le job, trente ans pile-poil après le premier album officiel. Mais si le plaisir des trois protagonistes actuellement en promo n’est pas feint, alors on peut fantasmer une suite, un jour futur.

DPKt-hors-les-murs
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le 13 juil. 2022

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