On n’aura jamais autant encensé des «fils de». Les Young Fathers (qui tirent leur nom du fait que chacun des trois membres portent le prénom de son père) reviennent avec un troisième album studio plus que jamais engagé. Exit les bons gros hits festifs et la pop acidulée qui les avait vu primés d’un Mercury Prize, les «petits pères» ont encore mûri (si c’était possible), et s’apprêtent à publier un album concerné car davantage solennel, profond car davantage impliqué, politique car davantage alarmiste.
What’s the price of the light / When you’re stuck in the shadow? (Quel est le prix de la lumière / Lorsque tu es coincé dans l’ombre?)
C’est presque par ses mots, dans le premier titre «See How», que débute le troisième album du trio écossais Young Fathers, qui reste sur deux albums magistraux (dont l’un auréolé d’un Mercury Prize, excusez du peu). Une manière pour eux de convaincre de la tournure de leur processus artistique, eux qui ne croient plus vraiment à la force des tubes pop : «Les tubes pop n'ont plus autant de pouvoir qu'avant. Ils peuvent être puissants, mais uniquement auprès de personnes jouissant encore de bon sens» explique «G» Hastings au webzine londonien The Quietus, «Je ne pense pas que tu puisses avoir de la musique punk à nouveau, ou les répercussions que la Motown ou James Brown ont pu avoir par le passé sur la société».
L’une des raisons pour laquelle l’album s’en trouve moins désinvolte que les précédents? Le risque était à prendre, faire un album un peu plus sérieux, un peu moins incandescent et coloré. C’est donc dans leur cave-studio d’Edimbourg que le trio écossais s’est enfermé afin de composer cet hybride, Hydre aux douze têtes tels les douze travaux d’Hercule, s’échinant à gonfler la basse, désaccorder les cordes, adjoindre l’incollable et relater l’impensable. La teinte gospel quasi divine de l’album se confronte au désordre aussi harmonieux qu’infernal. Le morceau «Lord» en est le parfait exemple : «C'est axé sur l'anxiété. Quand vous pensez que le titre va se mouvoir en quelque chose de beau, les synthés vous assaillent [brrrrrrrrrrrrr] et ça vous éjecte de cette zone de confort, ce sentiment ressenti lors de ballades gospel/piano auquel vous vous attendiez. Vous devez reprendre votre souffle.»
Il faut attendre les 9ème, 10ème et 11ème morceau, «Holy Ghost», «Wire» et «Toy», pour retrouver le côté hip-hop qu’on appréciait tant chez les Young Fathers. Jusqu’alors le spoken word, le chant et l’instrumentalisation très spatialisée avait primé sur le côté entertainment pop, qui n’était de toute manière pas le parti pris de l’album. «Au niveau des arrangements, des paroles ou du côté de la production, tout était prévu pour dépouiller notre son - et c'est exactement pour cette raison que l’album a l'air plus clairsemé. Il y a moins de bruits bizarres en arrière-plan. Au début, c'était vraiment étrange en studio ; ta voix est exposée et tu n’as plus toute cette merde éthérée qui défile en arrière-plan pour faire office de back-up. On était à Los Angeles, avec Dave Sitek qui travaillait sur quelques unes de nos chansons. Il nous a dit qu’une fois surmontée, cette étape nous ferait grandir».
On traverse cet album comme on traverse une ville étrangère, hostile de par son exotisme, mais accueillante par la promesse d’une découverte. Le temps adaptation écoulé, les chœurs célestes, les rythmiques hybrides - électroniques et ethniques à la fois, les paroles dénonciatrices ou carrément introspectives, tout concoure à s’emparer de l’auditeur et le pousser au questionnement, la sérénité comme objectif. Young Fathers a fait le pari de sortir de sa zone de confort avec ce disque, et aucune hésitation n’est à déplorer quant à dire que le pari fut payant. Le disque est aussi complet qu’il aurait pu l’être et on assiste avec ce «Cocoa Sugar» à l’éclosion d’un trio sur lequel il va falloir compter longtemps.