Décidément, Sébastien Tellier est un cas à part. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : c’est très bien comme ça. J’aime les types décalés dans son genre, les artistes à la fois un peu bobo et cradingues, voire fêlés, qui traînent tous à Saint-Germain comme leur idole gainsbarrienne. J’avais très largement adhéré à "Sexuality", m’étais déjà montré plus réticent aux délires mystiques de "My God Is Blue" (ce sont davantage les chansons que je trouvais moins réussies). Il était quasi-certain que Tellier, en tout cas, allait devoir passer à autre chose pour son prochain opus. Tous ses disques, de toute façon, ressemblent à des expériences uniques, comme s’il essayait de changer de style à chaque fois. Il est évident que son pire cauchemar serait d’être rangé dans une case. Une attitude qui peut avoir tendance à agacer, et déconcerter jusque dans son propre camp.
Le best of "Love Songs" sorti récemment semblait annoncer un retour à la douceur et à la simplicité. Bingo : avec "Confection", on est en plein dedans. C’est à un barbu radicalement différent auquel nous avons affaire, car très loin de ses excentricités précédentes. Pianos cristallins, guitares acoustiques et violons clairsemés se taillent la part du lion d’un album court (35 minutes) qui n’en est pas vraiment un. En effet, lors de l’écoute de cet OVNI, les premières images qui viennent à l’esprit sont plutôt des souvenirs cinématographiques liés aux films des années 70, aux B.O. signées Cosma ou Morricone. Tout cela a de légers relents de ringardise, mais c’est une ringardise assumée, tout comme l’érotisme vintage de "Sexuality". Sur la pochette, le chanteur apparaît bâillonné, et pour cause : vous n’entendrez sa voix que sur "L’amour naissant" (qui n’est pas ce qu’il a fait de mieux). Tout le reste est instrumental, avec des morceaux souvent courts, dont le thème musical est parfois repris plusieurs fois avec des arrangements différents (d’où les adieux à répétition, les "Curiosa 2" et "L’amour naissant 3" qui ponctuent le tracklisting). Certains diront que ça sent le manque d’inspiration à plein nez, les autres rétorqueront que ça fait partie du concept, car nous sommes bel et bien face à un concept album. Peut-être que les deux camps ont raison. Ce qui est sûr, c’est que ce terme de confection sied parfaitement à ce disque : Tellier met l’accent sur des mélodies cousues main, sans fioritures, qui distillent une vague mélancolie. Seule "Waltz", avec ses airs de manège déglingué sous acide, affiche une légère différence de ton. Finalement, on a presque l’impression que l’album est encore à l’état de démo, ce qui se ressent jusque dans les titres des chansons.
Alors maintenant, imaginez. Vous êtes sur une plage de la côte atlantique, bretonne ou normande. C’est l’automne. Les touristes sont partis depuis longtemps, le ciel est pluvieux. Bref, pas grand monde aux alentours, quelques familles, des chiens qui courent, le vent froid qui souffle. C’est l’arrière-saison, la mer est descendue très loin, des fous tentent encore de se baigner. Vous marchez sur le sable, seul avec votre IPod, et soudain vous décidez d’écouter cette ritournelle qu’un sosie de Chabal a concocté pour vous. Pas de doute, plus le temps passe, plus vous vous sentez en osmose avec cette musique, et vous avez raison : avec "Confection", Tellier a sans doute réalisé la bande son ultime du mec-solitaire-qui-déambule-sur-une-plage-un-dimanche-de-novembre-et-qui-semble-perdu-dans-des-réflexions-tristes-et-philosophiques.
Oui, mais le problème, c’est que je ne me vois pas écouter cet album dans un autre contexte que celui-là, où on le trouvera probablement emmerdant et anecdotique… Et ça c’est quand même très gênant.