Richard Gotainer est connu pour ses pubs, de grands succès dans les années 70-80, et sa chanson-gaudriole, d’autres grands succès, également dans les années 80. Mais sachez que Gotainer ce n’est pas que ça, car il n’est pas seul. Entouré de son compositeur Claude Engel et du frère de celui-ci Celmar Engel, le trio va nous produire en 1979 un album merveilleux, Contes de Traviole. Tout à la fois drôle, coquin, tendre, beau et virtuose, c’est un bijou de pop/folk, le chaînon manquant entre Pierre Perret et les Beatles. Le talent d’Engel, notamment, est proprement ébouriffant.
Ca démarre direct avec le Béquillard des Bois, belle comptine forestière qui est en fait un festival d’arpèges cristallins et d’harmonies frisant la perfection, agrémentées d’un solo de classe mondiale. Tout en finesse, dans le calme et la douceur d’une soirée d’automne, l’album commence sur les chapeaux de roue. Le texte est simple et beau, un hymne à la tolérance et au droit à la différence. Costard Cravate est une preuve supplémentaire de l’amour profond de ces trois zazous pour tout ce qui swingue : rock’n roll (l’Empereur du Flipper, sur l’album précédent), blues (Polochon Blues, de même) et là funk/rock, une sorte de fusion endiablée entre balancement groovy et riff destructeur. Gotainer joue avec les mots, comme souvent, mais ça reste fin et léger. Contrairement à Bamboche et Patachon, qui voit Gotainer se lâcher pour la première fois dans cet album. Sur un fond de franche camaraderie, le morceau est un festival de bruitages, gimmicks accrocheurs et mélodies entraînantes, dans un pur style Engelien. Vraiment drôle, la chanson raconte la ballade de deux hurluberlus en goguette : fous rires garantis. Fin de la première face avec Le Quatuor en Détresse, morceau archétypal du style Gotainer : harmonisations et arrangements magistraux, paroles délirantes et potaches. Des phrases sans queue ni tête (« I need you toucher mes fesses/So tell me where is your détresse ») pour une pièce en deux parties, d’abord classic-rock à la Alan Parsons puis disco/funk très dansant. Le son est tout simplement impeccable, et il n’y a aucune faute de goût puisque le passage disco presque variétoche coïncide avec le moment où les paroles deviennent carrément salaces (« Put your quatuor in my détresse » !!!). L’ironie est donc à son comble, rien qu’en écrivant ces mots je ne peux m’empêcher de sourire, alors vous imaginez les écouter.
La deuxième face commence sur un morceau plus faible, Saturax, sorte de hard-rock parodique, et la comptine Chanson Galipette, mutine et dont le dérapage final est légendaire, agrémentée d’une superbe partie de piano-jouet. Dans l’ensemble cette deuxième face est un peu moins mythique : le tube « Tout Foufou » est une pop-song un peu kitsch mais rafraîchissante, quoique sonnant un peu trop Beatles. Soupape, une merveille de bruitages, est un pur exercice de style. C’est d’ailleurs une des très grandes qualités du duo Engel-Gotainer : une capacité assez exceptionnelle à marier texte et musique et surtout texte et rythmique, tout en ajoutant à la rythmique un ensemble de sons produits le plus souvent à la bouche et collant au texte. La « sonorisation » des mots est un art complexe et pratiqué par ces deux-là avec grand talent. Enfin, Halléluya termine l’album en apothéose, une première partie quasi-épique, produite à merveille avec orchestre et chorale, et un final éblouissant de vulgarité et de non-sens, comme un pied de nez à tout ce qu’il a fait de mieux jusque là.
C’est tout Gotainer ça, capable de la vanne la plus lourdingue (mais toujours drôle) comme de la phrase la plus poétique. Le tout mis en musique par le génie qu’est Claude Engel nous donne cet album essentiel dans la discographie de Richard Gotainer.