Episode 1 ici : https://www.senscritique.com/album/sleep_dirt/critique/267034691
Episode 2 ici : https://www.senscritique.com/livre/Le_Club_des_hachichins/critique/278869060
Episode 3 ici : https://www.senscritique.com/album/Legend_of_the_Black_Shawarma/critique/283280317
Episode 4 ici : https://www.senscritique.com/morceau/epitaph/critique/289182432
Episode 5 ici : https://www.senscritique.com/album/the_xenon_codex/critique/297223817
Episode 6 ici : https://www.senscritique.com/album/nightclubbing/critique/245696093
SUITE Episode 8 ici : https://www.senscritique.com/album/unreasonable_behaviour/critique/221157643
A une table, dans une chambre un homme est assis. Il est nuit. Devant lui sur ce bureau cloaque une petite loupiote luciole à l’abat-jour percé, à son tour perce le noir et distille ses fantômes. Dans son dos le pucier suppure. On dirait quelque monstre éventré. Dans ses mains un petit livre ancien. L’homme tourne les pages et s’absorbe. Parfois il a recours à une loupe, parfois sur un calepin grisâtre au milieu des crayons, des miettes de tabac, de la poussière et des épluchures de cacahuètes il griffonne quelques mots, quelques signes ou caractères abscons. Patiemment il déchiffre, il découvre. D’un mouvement léger de la main il pousse le paquet de tabac pour avoir plus de place, rallume son clopeau en alternant parmi les quelques briquets ou allumettes qui trainent. Cela fait des heures et des heures qu'il se vrille les yeux sur ce texte cryptique moitié latin, moitié vieux français mais sa motivation reste intacte. Contre la lampe une photo encadrée. C’est lui avec son frère et sa grand-mère. Il est au milieu et tient ce qu’il lui reste de famille par les épaules sur un paysage vague et flou. Les sourires sont francs et massifs témoins de relations généreuses et fortes. La vieille dame est une ancre, un tronc et les deux jeunots sont ses branches un peu tordues mais saines car nourries d'une sève pure, celle de la vieille dame. Qu’on ne s’y trompe pas famille n’est pas synonyme d’amour. On y trouve aussi souvent la haine, le mépris, la mesquinerie, la dominance et la soumission qui va avec et bien sur le non-dit, les choses cachées, volontairement ou inconsciemment dissimulées car dérangeantes. «Familles, je vous hais! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur». Animé d’une frénésie invisible les neurones de l'homme font des bonds et la bête tapie derrière son crâne s’agite avec fougue. Alors comme un buvard épais il absorbe la substance invisible et la fait sienne mais en retour le texte étrange imprègne le miel de son esprit, s’insinue en profondeur et perturbe l’équilibre de sa psyché fragile et bouleversée par les affres de la vie qu’elle ne veut pas dire et qu’elle cache sans le savoir. Les lèvres malgré la peur s’agitent et murmurent des mots imprononçables, qui devraient être enfouis. Des mots que seules des entités impalpables, implacables et indicibles peuvent comprendre. L’homme transpire et des gouttes brulantes s'insinuent dans ses yeux, il cligne plusieurs fois des paupières comme pour reprendre ses esprits, sortir du rêve ou du cauchemar, il ne sait plus trop bien, qui l’attire, qui l’aspire contre sa volonté. Quelque chose s’est produit, il se sent incapable de stopper son étude. Ce texte le prend, le dévore, l'avale insidieusement et lui demande de résoudre un mystère, d’accomplir une chose impie, mais dans quel but ? Au fond des pages des merveilles disparues, incomprises, oubliées ou gommées par les sciences fierté des homoncules terrestres enfantés par quelque alchimiste divin se font de plus en plus nettes. Il voit des monstres putrides tapis au fond d'océans rougeoyant et affadis de Soleil, perdus dans des landes nauséabondes au brouillard accablant, enfouis dans de sombres et méphitiques cavernes, errant au cœur de très hautes montagnes grises d'effroi, disséminés sur des landes improbables qu'aucun aventurier n'a jamais foulé, noyés au cœur de l'Univers et se baignant dans la lumière d'étoiles lointaines. Il voit... L’homme a laissé sa fenêtre ouverte par laquelle on aperçoit l’urbanisme banlieusard de cette époque fait des pavillons stériles et vains de ses contemporains. Quelques bruits diffus lui parviennent du fond de la noirceur ambiante, de sa torpeur. Le silence aiguise les sens. Parfois c’est une voiture qui passe au loin ou qui tourne à l’angle d’une rue, c’est l’aboiement d’un chien dans quelque jardin sombre inquiété par le mouvement des ombres de la nuit, c’est la course des rats qui prennent possession de la ville quand les humains s’endorment, c’est l’agitation des cafards dans quelque corridor, c'est le grésillement des lignes électriques, c’est le murmure de l’air en mouvement. Par-dessus les toits le ciel baigné par une Lune presque pleine flamboie. C’est une chance, dans ce quartier reculé point de lampadaires. Ces poteaux luisants qui tuent le cosmos et la voie lactée n’ont pas encore colonisé le quartier. Voyage littéraire, cabalistique. Les jambes sont inutiles, pas besoin de train, de voiture, ou d’avion, il lui suffit de tourner la tête et par-delà le désespoir, malgré toutes les peines et l'ennui, quand les yeux se portent sur l’infinitude du ciel brasillant le décollage est immédiat. Tout au cœur de sa rêverie, stimulé par la brillance des étoiles, l’homme repousse sa chaise, se lève et s’approche de la fenêtre. Son regard plonge et gomme tout ce qui ne lui plait pas. Il ne reste que l’infinitude opaque encore belle parce qu’illuminée.
Quand les tours grises et les maisons de toutes les villes sombres auront sombrées, quand l’Océan immenses et impétueux aura engouffré la Terre, quand le ciel aura écrasé le monde, quand la vie cette anomalie splendide n’existera plus, quand la beauté de toutes les choses du moindre brin d’herbe au plus grand Soleil se sera tue, quand les Léviathans auront avalés la Lune et toute les planètes, quand toutes les étoiles en auront fini de bruler il ne restera que la nuit ou peut être une immense clarté aveuglante, obsédante, indéfinissable et vide.
Les mots alors sortirent de la bouche nets et précis. Sans plus aucun calcul il livra la voix aux cieux pour cette communion solitaire. L’incantation résonna lugubrement, la couleur naturelle de la peau s’affaissa, une pression violente s’installa dans le torse, le sang bouillonna et afflua dans les méandres cérébelleux et au fond des yeux rougis par la fatigue et l'effort de l'étude, tout là bas, une lueur affreuse s’alluma.
Mushroom lentement sombrait dans la folie.