Que reste-t-il du rock héroïque aujourd’hui ? Si on s’en tient aux principaux groupes auxquels on doit cette étiquette absurde, plus grand-chose. L’âge d’or de U2 et des Simple Minds est révolu. Arcade Fire semble se diriger vers autre chose. Et ce ne sont pas des succès de niche tel que celui de The War on Drugs qui pourront raviver la flamme de ce rock emphatique et optimiste (Imagine Dragons et Muse ? Soyons sérieux !).
Si on veut être un minimum lucide sur ce style qui n’en est pas un, il aura concerné beaucoup de monde durant des décennies. Déjà, celui par qui tout a commencé : Bruce Springsteen. Puis Pearl Jam, certains acteurs de la britpop (Oasis et Suede) et même Radiohead avant qu’il ne parte dans un trip intello le coupant définitivement du grand public. Du stadium rock ? Oui, bien sûr mais pas que. Ou alors, disons, plus subtil et plus rock dans l’esprit que les vaches de stades mainstream qu’on entend régulièrement sur les ondes. Et puis il n’y a aucune honte à remplir des stades quand on écrit de bonnes chansons. Ce n’est que justice.
Hélas, Echo and The Bunnymen semble avoir quelque peu été éclipsé par le succès monstrueux de U2. Eux, les seuls rivaux crédibles face aux Irlandais. A un tel point que les critiques se pâmaient devant chacune de leurs sorties, il y a bien longtemps.
Ça tombe bien, le quatuor mené par le guitariste Will Sergeant et le chanteur Ian McCulloch ne fait pas un post-punk traditionnel. Leurs influences revendiquées étant The Doors et Television, ce qui peut surprendre tant elles sont inaudibles dans ce premier jet. Tout au plus, on peut observer un penchant pour le psychédélisme du premier, quoique volontiers plus sale (l’extraordinaire outro de « Happy Death Men »). Une influence guère étonnante quand on sait que cette bande, regroupant de fortes personnalités, fut liée à ses débuts au leader des Teardrop Explodes, Julian Cope (plus connu pour avoir écrit le livre Krautrocksampler que pour sa carrière musicale). Le son est également encore ancré dans les 70s. Ce qui le rend moins daté aux oreilles les plus âgés, mais beaucoup moins mystérieux aux amateurs des atmosphères bleutées des 80s.
Quant à la section rythmique, elle s’imprègne des gimmicks de l’époque (importance de la basse, un jeu de batterie martial et énergique) tout en étant une des meilleures. Pete de Freitas abat un travail considérable et apporte le dynamisme qu’il fallait à cette pop pour la rendre épique. Car ne nous y trompons pas, Echo est une des formations les plus pop de cette vague après-punk. Sauf qu’elle est jouée de manière rock au point de donner de parfaits airs de garage rock à un tel disque (« Pride » ou « Crocodiles »). Ce qui explique aussi pourquoi ils sont un peu dédaignés par un public plus branché et plus apprécié par un autre aux goûts plus classiques de nos jours.
Pourtant, quel dommage quand on examine les compositions ! « The Pictures on My Wall » est d’une mélancolie similaire au meilleur de The Cure. « Stars Are Stars » est une pop song merveilleuse. « Going Up » est un hymne transcendé par la voix plaintive et grandiloquente de McCulloch. Quant au piano de « Pictures on My Wall » (une inspiration pour le « New Year's Day » de vous savez qui ?), il est inoubliable.
Crocodiles n’est pas un simple premier album. Il s’agit de la recette définitive de Echo and The Bunnymen qui ne bougera pas d’un iota durant toute leur carrière (le sample de la première piste qu'on remarque sur « Happy Death Men » met d'ailleurs la puce à l'oreille : la boucle est bouclée). Une formule réduite à son plus simple appareil. Sans l’ambiance sombre de Heaven Up Here, le psychédélisme de Porcupine ou les orchestrations d’Ocean Rain. Elle est découverte par un groupe surdoué (McCulloch est déjà charismatique et Sergeant capable de grandes trouvailles avec son instrument) qui sait exactement ce qu’il veut : montrer qu’ils sont les plus forts en ce début des années 1980. Et il est vraiment très difficile de ne pas leur donner raison.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.