Cutouts
7.3
Cutouts

Album de The Smile (2024)

Issu des mêmes sessions que Wall Of Eyes (comme l’était en son temps le dyptique Kid A / Amnesiac), Cutouts n’est pas l’ombre de son prédécesseur ni une vulgaire collection de chutes de studio venue combler l’annulation de la tournée européenne du groupe cet été après les soucis de santé de Jonny Greenwood. Il est un vrai disque, à part entière, qui vient apporter encore une nouvelle facette à la discographie du power trio le plus excitant de ces dernières années. Plus électronique, alliant rock survitaminé et jams hallucinés, ce troisième édifice s’avère aussi jouissif que captivant, maniant toujours l’art de l’arrangement et des modulations aventureuses à la perfection. Avec des morceaux souvent attendus – car pour la plupart déjà dévoilés en tournée –, c’est un petit tour de force, à nouveau, que de voir ces compositions révélées sous de nouveaux apparats singuliers.


Titre d’ouverture qui aurait aussi très bien pu faire une merveilleuse conclusion, Foreign Spies contient à lui seul plus de beauté et d’étrangeté que nos rêves les plus fantasques. Volontairement rétro par son usage des synthés à ondes carrées, forcément connoté avec sa marche harmonique qui égraine le cycle des quintes, il est la preuve que tout est une question de goût et de sensibilité plus que de recettes ou de procédés éculés. Exotique, profondément orientaliste mais aussi néo-romantique avec ses cordes jouant sur les échelles micro-tonales chères à Greenwood, Instant Psalm propose un voyage astral dont il sera bien difficile de revenir.

It’s so close that we disappear through this narrow gap

Zero Sum et sa folie contagieuse en parfaite adéquation avec le travail du vidéaste Weirdcore nous plonge lui aussi dans un dédale cosmique malgré sa brièveté – 2’47 au compteur, record de la composition la plus courte du groupe détrônant d’une seconde son hymne punk You Will Never Work In Television Again. Soutenue par les a-coups du sax ténor de Robert Stillman et du sax baryton de Pete Wareham, la touche boisée est un must have dont nous régale The Smile depuis son premier disque, et ce n’est pas l’utilisation de la clarinette basse sur Colours Fly qui nous fera changer d’avis. Ce morceau, qui rappelle la parenthèse de Jonny Greenwood avec Dudu Tassa l’année dernière, offre un voyage parti d’Orient qui finira en Andalousie façon Sketches of Spain de Miles Davis (on se rappelle de l’impact de Bitches Brew sur la création de Kid A). Des images impressionnistes qui poussent les portes de la perception comme le faisait Free In The Knowledge sur le premier opus.

You can change your mind, let your colour fly

Comme si Thom Yorke tentait de mieux nous décrire le visuel de sa pochette programmatique. Eyes and Mouth, plus estival et coloré encore, est un titre plus évident qui ne cède pas pour autant à la facilité. À l’image de Don’t Get Me Started, son synthé modulaire se baladant sur la gamme pentatonique mineur de mi avec des filtrages en cutoff bien sentis, qui se diffuse comme une menace prête à exploser pour qui se serait trompé de cible ou aurait parlé un peu trop vite d’un groupe se reposant sur ses acquis, perçu parfois à tort comme évoluant dans sa zone de confort.

I’m not the villain, choose someone else

La merveilleuse pièce évanescente Tiptoe semble sortie d’un autre temps, d’une autre époque, d’un autre monde. Pourtant, elle est bien le fruit de l’imagination d’un groupe qui n’a décidément pas de limites, esthétiques comme émotionnelles, pour rallier l’intime au grandiose, le majestueux au – presque – ordinaire. De son piano droit fatigué à ses cordes massives et luxuriantes, la voix de Yorke, mise à nue, sera le lien ténu qui fait basculer la chanson vers une autre dimension. Passé l’effet de surprise d’entendre soudain cette voix sous léger autotune, The Slip convie la guitare juvénile de Greenwood pour sortir des ténèbres un titre qui aurait pu devenir un véritable puit sans fond.

A black hole at the center of the galaxy, […] being pulled down, nice and easy, as a naught, as a nil, as a no

Et pourtant. Morceau d’espoir autant que de guérison, il est la lumière au bout du tunnel sans fin qu’est cette aventure existentielle aussi labyrinthique qu’exaltante.


Comment trouver les mots alors face à tant de fulgurances et de pirouettes mélodiques ? No Words propose justement de replacer le groove au sens de tout, avec ces petits riffs qui, l’air de rien, s’ancrent en nous durablement, façon The Opposite ou The Smoke. Ce qui semble être construit comme une jam est en fait un morceau qui en dit long sur le processus du groupe, son approche musicale et son extraordinaire productivité et vitalité ces deux dernières années. Bodies Laughing enfin, ravive les influences les plus latines – et finalement omniprésentes – du trio pour mieux les déconstruire et les confronter une bonne fois pour toute à ses penchants plus électroniques.


suite de la chronique disponible ici (MOWNO.COM)

Kamille_Tardieu
9
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le 5 oct. 2024

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Le  K

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