Cyborg : après le feu, la glace

Nekfeu. Réveil à 6h la semaine dernière, ptit dej tout ça tout ça, je vais faire un petit tour sur Facebook et puis là je QUOI!? Nekfeu a sorti un album dans la nuit, sans l'avoir annoncé nulle part, sans que personne ne s'y attende, sans promo, sans clips, sans rien; il l'a annoncé en live à Bercy. Alors ? Après avoir été en quelques sorte la "révélation de l'année 2015", après un album Feu qui a sûrement été l'album ayant eu le plus de succès en France l'an dernier, après avoir réuni une base de fans impressionnante, après de nombreux clips, des featuring innombrables, une tournée de concerts, un album avec son groupe le S-Crew; il est absolument évident que cet album ne pouvait pas passer inaperçu. Alors, il vaut quoi ce nouvel album ?

Cyborg est tout d'abord bien plus sombre que son prédécesseur, que ce soit dans les instrus, les ambiances, les thèmes lyricaux. Nekfeu nous plonge ici, dès le morceau d'ouverture de l'album, dans un monde d'introspection et de questionnement sur l'espèce humaine (des thèmes étant déjà présents sur Feu mais pas à ce point). En effet le fracassant "Humanoïde" annonce directement l'ambiance froide et obscure de l'album: commençant avec une instru calme où Nekfeu énumère de nombreuses questions sur ses actes et ceux des hommes en général. Puis changement d'instru, l'intensité monte au fil du morceau : technique reconnaissable entre 1000, allitérations et texte fort, sens du rythme qui lui est propre, petit refrain chanté, puis Nek finit le morceau sur une sorte d'énervement froid qui ne peut laisser indifférent."Humanoïde" restera sûrement un des morceaux les plus bouleversant de l'album. Car il est clair que si Nekfeu effectue une évolution évidente dans son style avec cet album, il reste tout de même fidèle à lui même en gardant des thèmes et un flow si particulier qui définissent son univers musical. Cet album, pour moi, n'est pas vraiment un changement de style à part entière; il représente plus une autre facette de Nekfeu, qui nous fait explorer plus en profondeur un personnage complexe.

Cyborg est effectivement porté par un thème dominant, qui force l'obscurité. On retrouve au long de l'album, la comparaison de l'humain à un être programmé (d'où le titre "Programmé", des barres personne s'en doutait). Ce thème revient plusieurs fois dans l'album ce qui lui donne un côté mystérieux, intéressant et permettra le titre "Réalité Augmentée", à l'ambiance dérangeante (confortée par les extraits flippant d'un film dont je ne connais pas le nom) et aux paroles originales (jeux de mots sympas) étant orientées sur le thème des réseaux sociaux et de leurs conséquences sur l'homme (il ne sera d'ailleurs pas sans rappeler l'excellent "Error 404" du rappeur Brav). Cela n'en fait cependant pas un album à thème unique, et on a aussi le droit à des thèmes plus légers, mais sur des morceaux tout aussi efficaces: le fait que cet album ait un thème sombre dans l'ensemble ne le rend pas lourd (quand je dis lourd je parle de pesant hein). On d'ailleurs le droit a des morceaux qui bougent plus avec des thèmes plus récréatifs comme "Squa" ou le surprenant "Esquimaux" (Népal est putain de chaud !!!) ou même des titres à un ambiance plus posée voir jazz, notamment "O.D" (où l'on retrouve notre fameuse égérie!) qui vient détendre l'atmosphère de l'album pile au bon moment. Mention spéciale à "Vinyle" où on retrouve le duo Nekfeu/Alpha Wann, plus déchaîné que jamais, qui kicke sur une prod type 90's comme on en avait pas entendu depuis longtemps dans le paysage du rap français (+ magnifique interlude jazz).

Malheureusement parmi tous ces titres différents certains passent inaperçus et n'ont pas beaucoup d'effet comparé aux rafales de certaines, ils sonnent en fait un peu plats (c'était d'ailleurs le défaut principal de Destins Liés avec le S-Crew, sorti en milieu d'année).

Mais au final on peut quand même se réjouir du fait que Nekfeu complète, avec cet album, son propre style tout en proposant quand même une évolution évidente et c'était en fait le plus grand enjeu de cet album. Avec l'immense succès de Feu et surtout du tubesque "On Verra" (on essaie encore de l'oublier) l'an passé, on pouvait penser que Nekfeu aurait pu choisir la solution de facilité en choisissant d'appliquer la même formule qui lui a valu son succès. Hors ici, ce n'est pas le cas, Nekfeu ose faire le pas vers une évolution nécessaire à chaque deuxième album, et c'est réussi. On remarquera d'ailleurs qu'au niveau des featuring, Nekfeu reste fidèle à ses racines en invitant principalement des artistes ayant toujours été à ses côtés (du S-Crew, de L'entourage, de 1995...) alors qu'il avait la possibilité de ramener des gros artistes. Et même au niveau des invités auxquels on ne pouvait pas s'attendre en quelques sortes, Nekfeu préfère valoriser des artistes peu connus comme Clara Luciani, Murkage Dave ou encore la chanteuse japonaise Crystal Kay (je n'ai absolument jamais entendu parler d'eux); cela crée un contraste évident avec Feu où il nous avait quand même ramené un certain Ed Sheeran.

Pour conclure, Cyborg constitue une évolution intéressante dans le style de Nekfeu, et propose un thème sombre qui crée le mystère. L'album ne m'a pas cependant peut-être pas séduit autant que l'avait fait Feu, qui était plus efficace et où chaque titre était unique, mais n'en est pas pour autant pas décevant.
Nekfeu nous confirme ici qu'il est un artiste talentueux, qui ne cède pas à la pression de son gigantesque succès et reste fidèle à lui même, comme il le dit si bien sur le titre "Saturne" :
"J'ai des valeurs, je suis pas prêt à tout pour que les dollars pleuvent
Fuck le succès, je veux rester dans la lumière en l'éteignant, ouh"

Coups de coeurs: Humanoïde, Avant Tu Riais, Esquimaux, Vinyle