« I am the greatest rapper alive » disait Kendrick Lamar au milieu de son morceau « The Heart Part 4 », au sein duquel il annonçait également l’arrivée imminente de son quatrième album intitulé « DAMN. ». Par très humble de parler ainsi, mais difficile de contre dire à l’écoute de ce disque, qui a défaut de ne pas être à la hauteur des précédentes œuvres du rappeur, fait preuve d’une efficacité particulièrement redoutable, allant jusqu’à repousser les frontières du rap US à l’aide d’une douceur empoisonnée et d’une allégorie de l’Amérique s’inscrivant sur les traces de « To Pimp a Butterfly ». En évoquant les violences policières, le racisme, le deuxième amendement, le kid de Compton, recruté par Dr Dre, réalise un album axé sur un propos social, tout en envoyant quelques tacles à la chaîne Fox News qui l’avait accusé de rabaisser la population afro-américaine.
Certains morceaux semblent avoir été conçus pour étonner, comme notamment les duos avec Rihanna et U2, l’un laissant une bonne place au chant, l’autre attirant l’œil via son feat inattendu. Dès l’intro, avec « BLOOD. », « DAMN. » ouvre les portes de la perception en interrogeant sur la condition humaine. Viennent ensuite « DNA. », « ELEMENT. » ou « HUMBLE. », trois classiques instantanés ou Lamar se montre incisif et prompt. On pourrait presque dire que le rappeur célèbre ici son héritage noir ; réflexion qui peut aller encore plus loin si l’on parle de l’esprit gospel de l’album, notamment visible dans le morceau « PRIDE. », hypnotique et tétanisant de beauté. Avec « DAMN. », Kendrick Lamar réalise donc une chronique de son temps. Sa musique n’est pas un message : c’est un média. Il est alors difficile de parler uniquement de hip-hop. Il s’agit là davantage d’un rappeur se mettant à nu pour ses textes. Bien évidemment, Lamar revient sur son enfance, sur Compton, mais il va plus loin : il réinvente son médium. Pourquoi avoir fait un feat avec U2 (par ailleurs brillant d’élégance) dans un album de hip-hop ? Tout simplement car ce dernier n’est plus la voix de la rue, c’est un immense terrain d’expérimentation musicale, particulièrement excitant, et seuls ceux qui l’ont compris parviennent à se singulariser (Lamar, mais aussi Kanye West, ou ScHoolboy Q).
« DAMN. », outre son charisme indéniable et sa grâce envenimée, est donc sans conteste un impressionnant renouveau rapologique. C’est un album excessif, exacerbé, voire sur-intellectualisé. Le principal défaut du projet serait son aspect calculé, sans spontanéité. C’est le seul point que l’on peut réellement reprocher à Kendrick Lamar : il est le produit des médias cherchant désespérément un MC pour rendre au rap US ses lettres de noblesse. Et justement, il fait parti de ceux à avoir compris avant tout le monde que ces lettres ne s’entendent plus de la même façon aujourd’hui. Inutile de se plaindre plus longtemps, car que l’on aime ou pas Kendrick Lamar, c’est lui qui incarne le mieux la relève.