Réécouter "Darkness on the Edge of Town" dans une version bien remastérisée, après un chisme de près de 30 ans pendant lesquels Springsteen n'a pas beaucoup compté pour moi, offre l'opportunité idéale de réévaluer ce disque monochromatique, profondément déprimé et déprimant, qui voyait le "Boss" creuser à nouveau le sillon du romantisme prolétaire et urbain de "Born to Run", en substituant - malheureusement - à la fièvre orbisonienne de celui-ci une démesure un peu lourde qui allait - plus tard - plomber de plus en plus son oeuvre. Mais ici, hormis un "Streets of Fire" qui franchit la ligne, toutes les compositions sont encore suffisamment dignes et inspirées pour tenir à distance le spectre de l'outrance lyrique. Oui, plus de trois décennies plus tard, "Darkness..." est devenu un monument, mais aussi le témoignage bouleversant sur une Amérique - ouvrière, rude, inculte - qui n'a quasiment jamais (et aujourd'hui moins encore) droit à la parole. [Critique écrite en 2011]