Ce jeune personnage du nom de Bowie (mais en réalité il s'appelle Jones, il a piqué son nom au couteau de Fort Alamo) s'essaye pour notre plus grand bonheur, ou du moins avec suffisamment de malice et, disons-le, de talent pour susciter l'intérêt, à une pop teintée de folk, mod, et de psychédélisme naissant. A l'instar des Beatles et leur Sgt Pepper (en vente près de chez vous le même jour que l'album du jeune David courez-y), il emprunte un chemin indirect et plutôt malin, piochant dans un patrimoine british désuet peuplé de gloires de la première guerre mondiale ("Little Bombardier", "She's Got Medals"), d'amoureux transis ("Sell Me A Coat"), éternuants ("Please Mr Gravedigger) et inquiétants ("Love You Till Tuesday"...et aussi "Please Mr Gravedigger" avouons-le), de gentils désaxés ("Join the Gang"), de sérieux dérangés ("We Are Hungry Men"). Avec le ton d'un jeune dandy de bonne famille, il nous livre un tableau faussement naïf d'un Swinging London en pleine explosion, mais comme vu de loin par quelqu'un qui peine à s'y intégrer.
Certaines vraies pépites peuplent les multiples pièces de cette album en forme de maison de poupées, à l'instar des morceau écartés que sont le brûlant "In the Heat of the Morning" , le passionné "Let Me Sleep Beside You", ou le mélancolique et superbe "London Boys". Nous nous contenterons d'un "Rubber Band" emprunt d'un pathos ironique plus anglais que nature.
Ceux qui voudront aller plus loin pourront s'aventurer à aller écouter le simple "The Laughing Gnome", ils s'amuseront sans doute beaucoup. On attend avec impatience ses prochaines publications, l'avenir est à sa portée à condition qu'il fasse un petit effort.
Car ce jeune chanteur semble ne pas avoir encore de direction bien précise, son univers bigarré est prometteur mais gagnerait à se parer de plus de paillettes et d'audace. Gageons que ce David "Bowie" parviendra tant bien que mal à survivre à ce qui se profile comme un Summer of Love encore jamais vu et à ses sirènes lysergiques trop vives pour être honnêtes. Il se pourrait qu'il nous surprenne à son tour, Superman l'heure venue, avec un peu d'aide cosmique. Avec un peu d'imagination on se le représente sur le devant de la scène, laissant ses influences empruntées pour étendre les siennes propres, l'androgyne parfait gagnant une célébrité interplanétaire à se demander s'il n'est pas lui même venu d'ailleurs. On tremble en rêvant à un météore qui ne s'écrase jamais mais rebondit dans une direction opposée, Héros blafard délavant sa couleur dans la neige au pied du mur. La tête pleine de mysticisme, ami avec un lézard, ou peut-être un Iguane, clown triste un instant avant de rejaillir tout de lumière vêtu sous le plastique et les néons. On le devinerait presque traverser humblement un désert provisoire, réapparaissant en idole, auréolé d'une gloire quasi divine débarrassé des tendances pour se vouer à un art qu'il finit par être le seul à pratiquer, à la fois personnage de film noir, marque déposée et prophète, Lazare, qu'on suppose immortel. Puis, on frissonne, soudain envahi d'un froid sidéral, en l'imaginant, Star ultime, briller une dernière fois avant de s'éteindre pour de bon, brisant nos coeurs, laissant un trou noir béant, d'une densité infinie à sa place.