Sans être mauvaise langue, on peut avouer que la suite des formidables Night (2007) et Tick-Tock (2009) n’avait pas été franchement à la hauteur des espérances, et ce, malgré le fait que Missa Atropos (2010) et March of Ghost (2012) ne soient pas de mauvais albums, loin de là. Mais la barre avait été placé à de telles hauteurs que ces revisites du style Gazpacho ne pouvaient que se conclure sur un sentiment de déjà-vu un poil déceptif.
Pour Demon, leur neuvième porte, les norvégiens entendent bien commencer leur troisième carrière avec un condensé atmosphérique du plus bel effet répartis sur quatre tranches de pain complet pour une durée totale frisant les trois quart d’heure. Du qualitatif.
Dès le départ, les aspérités dramatiques sont renforcées par la texture vocale si prégnante de Jan Henrik Ohme, signature incontournable du son Gazpacho. On se sent immédiatement attiré dans le giron d’une musique que l’on connaît par cœur, si loin et en même temps si proche de ce qu’ils nous avaient proposé jusqu’ici. En fondant sa musique sur le concept obscure d’un manuscrit retrouvé dans un appartement à Prague signé d’un ancien locataire qui y décrit sa quête contre un esprit malin nommé « The Demon ». Ambiances garanties. Entre violon, piano délicat, atmosphère poisseuse, le ton est donné. A grand coup de riffs puissants, pas de radotage en vue. Le diptyque « I’ve Been Walking » tente même de tirer une certaine sensualité de tout cela, avec ses stries de guitares, de passages poétiques teintés de fièvre et d’un sens inné du mélodique, même sans ses aspérités les moins codées ou ses arcanes cinématographiques (le final au violon). Avec ses vapeurs plus électro entremêlées d’accordéon dans un style un peu gipsy, un peu yiddish, « The Wizard of Altaï Mountain » change radicalement de direction et surprend. Des motifs qui s’en reviennent sur le final « Death Room » et ses dix-huit minutes qui mélangent folk, rock, mystique, dissonances et danse macabre hypnotique. Le tout sur le fil du rasoir.
Alors que Night jouait du voile entre rêve et réalité, Demon touche du doigt l’étrange bizarrerie d’un Lovecraft à grand renfort d’harmoniques et d’effets sonores appropriés. Langoureux à souhait, ce final révèle des trésors que de multiples écoutes sauront apprivoiser, découvrir et redécouvrir. On ne pourra vraiment lui reprocher qu’une petite perte de direction, jouant son va-tout dans la désorientation à coup de tressautements mélodiques qui font de ce Demon l’album le moins accessible du groupe. Gazpacho voulait créer de la musique imagée. De ce point de vue, le contrat est parfaitement rempli ici.