Les chiens aboient, la caravane passe
Deux évènements musicaux majeurs rythmèrent toute ma jeunesse: la sortie du nouvel album des Stones, et celui de Dylan. De l'attente fébrile à l'affût du début des sessions, noms des musiciens y participant, lieux des studios, à la vision de l'album dans la vitrine du disquaire l'attente fût souvent longue. Parfois de longs mois.
Mais alors pourquoi parler de ce Dylan-çi et pas d'un autre? Et bien tout simplement parce qu'il est sans doute son album le plus injustement sous-estimé (d'ailleurs dans la période post-Taylor des Stones il y en a aussi l'un ou l'autre auquel je compte bien me coller également).
L'album sort en janvier 76 et les critiques sont quasi unanimes: c'est un ratage. Rare ceux qui apprécieront d'autres titres que le single (Hurricane). Ironie de l'histoire car après avoir été descendu à boulets rouges, cet album est en train d'être réhabilité et replacé à sa juste valeur dans la disco de Dylan, à savoir parmi les meilleurs.
La fin des années 60 et le début des années 70 sont des années très difficiles pour lui. Marié, père de famille devenu allergique au vedettariat, ses derniers albums country sont haïs par les fans qui n'y retrouvent plus leur porte-parole contestataire. Mais ce n'est pas sa première période difficile. Déjà en 65 lorsque son folk s'électrifia les puristes hurlèrent à la trahison!
Huit ans. C'est le temps qu'il aura fallut attendre pour que Dylan renoue avec le succès critique et populaire avec en 74 et 75 coup sur coup deux très grands albums, le très nerveux Planet Waves (accompagné du Band ) et le vénéneux Blood On The Tracks.
La Rolling Thunder Revue est une tournée démarrée aux États-Unis en automne 75, sorte de caravane hippie à laquelle participe ses vieux amis comme Joan Baez ou Roger McGuinn. C'est là que Dylan rencontre la violoniste Scarlet Rivera et file en studio retravaillé avec elle des titres déjà prêts depuis l'été. L'album s'appellera "Desire".
Sur un plan personnel, il met un point final à sa longue et tumultueuse relation avec Sara Lownds et lui écrit une chanson en hommage, "Sara", après lui avoir dédié "Sad Eyed Lady of the Lowlands" sur Blonde On Blonde 10 ans plus tôt.
"Hurricane", le titre d'ouverture, est un fichu brulot bavard, et ça tombe plutôt bien car le grand Zim a des choses à dire. C'est l'histoire de Rubin "Hurricane" Carter, boxeur noir prétendant au titre national, accusé et emprisonné pour triple meurtre. Dylan y dénonce le racisme et le faux procès dont a été victime Carter. D'emblée le violon bourdonnant de Scarlett Rivera vous tord les tripes. Il donne toute sa couleur et sa finesse non seulement au morceau mais à l'album entier.
Que dire du morceau suivant? "Isis" est tout bonnement une chanson fabuleuse magnifiquement joué par Howard Wyeth au piano et à la batterie. Le texte est mystique, Dylan y parle de sa quête du "haut lieu de l'obscurité et de la lumière" où siège Isis, ancienne divinité de l'Égypte ancienne.
Le texte d'One More Cup of Cafe est magnifique lui aussi, souligné par la nonchalance bohémienne du violon et la superbe voix d'Emmylou Harris.
"Joey" est un autre sommet de l'album. Dylan nous raconte l'histoire de Joe Gallo, un gangster mafieux New-Yorkais assassiné en 1972. Musicalement on frôle tout simplement la perfection.
L'accordéon magnifie la voix déjà belle en soi de Dylan. Banjo, violon, accordéon, guitare 12 cordes, mandoline, contre-chant d'E.Harris, donne à ce titre une richesse instrumentale hors du commun.
Cette chanson (très longue, 11'04 ") est à l'image de tout l'album: Dylan n'a jamais aussi bien chanté, les textes sont inspirés, les musiciens qui l'accompagnent sont tous exceptionnels, le tout étant d'une grande cohésion. J'aime son côté bohème et très hippie dans l'esprit.
Comment résister au romantisme tout dylanien de Romance In Durango (ah! cet accent sud-américain de l'accordéon et de la trompette!) au presque-tango de Black Diamond Bay avec Howie Wyeth faisant des merveilles à la batterie, et bien sûr le déchirant "Sara" qui clôt l'album?
Bref un disque aux couleurs automnales, pas foncièrement joyeux, mais musicalement riche et très profond.