En 97, j'étais un lycéen plein de boutons, de stupidité et de difficultés scolaires, comme beaucoup d'autres mais à ce moment précis s'est passé quelque chose de très important : intégrant une nouvelle bande de potes qui sont devenus mes plus proches amis, j'ai accédé à de très bons disques.
Bien sûr j'écoutais déjà des trucs mais en dehors des quelques "best of" de variété internationale de mes parents, ça se résumait à l'influence des radios FM. Malgré des moments de bonheur ponctuels*, les ondes s'étaient déjà pas mal orientées vers le rap, et à défaut de savoir ce que j'appréciais vraiment, je m'en contentais.
Tout ça a changé au cours de cette année et notamment un samedi après-midi chez un pote où, tentant vainement de maîtriser la conduite désastreuse de la Saxo Kitcar sur V Rally, j'ai profité pour la première fois de Dig Your Own Hole sous la forme d'un enregistrement médiocre sur cassette. La gravure de disques "domestique" commençait à se démocratiser mais les bandes magnétiques avaient encore la côte, et malgré le son pourri, j'ai pris une claque dans la gueule. Claque qui s'est reproduite quand j'ai lâché pas loin de 200 balles (j'ai eu du mal à l'époque) pour acheter le cd accompagné de son prédécesseur Exit Planet Dust.
Que d'énergie sur une galette ! L'album est une véritable pile crachant un son qui vous transmet un courant électrique et vous oblige à bouger l'une ou l'autre partie du corps. On tape d'abord du pied, entrainant avec lui la jambe complète sur Block Rockin' Beats, puis les vibrations envahissent discrètement la colonne vertébrale sur Dig Your Own Hole, avant de se manifester progressivement tout au long de l'intro et jusqu'à l'explosion cruellement funky d'Electrobank. Après ça, le fauve incontrôlable que vous êtes devenu est en liberté totale et votre anatomie sera au top de la flexibilité pendant l'intervention de Noel Gallagher (qui s'est passé d'alcool spécialement pour vous), et même votre cerveau y passera, vibrant au rythme de la dictature des basses de It Doesn't Matter.
Et pour tout vous dire, c'est pas un hasard : ces satanés rosbeefs l'ont fait exprès, puisqu'ils enchaînent les pistes les unes aux autres et attendent les trois dernières pour calmer le jeu et ralentir le métronome. Là vous commencez à gesticuler moins vite, essoufflé par toutes vos cabrioles, et vous finirez par vous assoir dans un coin à profiter d'une musique plus paisible mais toujours envoûtante et dominant votre inconscient (flagrant sur The Private Psychedelic Reel).
En fait, les Chemical Brothers sont des vaudous, et Dig Your Own Hole une séance d'hypnose. Pas étonnant qu'en l'écoutant avec ma petite culture FM de l'époque, je serais marqué au fer rouge et j'aurais des séquelles indélébiles. C'est pour ça que cet album a pour moi une valeur si particulière : apparaissant dans les prémices de ma collec' de disques que je comptais sur les doigts de la main (comprenant également la ruine indispensable que représentait Mellon Collie des Smashing Pumpkins), il a contribué à la transformation de mon univers musical.
Alors pourquoi 8/10 seulement ? Parce que ce disque est avant tout une expérience à vivre dans sa globalité, qu'en conséquence je ne l'écoute pas régulièrement comme d'autres albums, et qu'après tout ce temps passé je soupçonne ses voix aiguës d'avoir abîmé mes tympans.
* Skyrock avait utilisé l'album Music For the Jilted Generation de Prodigy pour en faire ses génériques, et diffusait également leur bombe Breathe et d'autres chansons marquantes comme 36 Degrees de Placebo, Cannonball des Breeders, ou Spaceman de Babylon Zoo. Et c'était bien !