Time for hope
Ce matin, j'ai pas envie de rigoler. Ce matin, j'ai une sacrée gueule de bois. Pas du genre qu'on fait passer en buvant je ne sais quelle mixture miracle, pas du genre qui attaque le foie en même...
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le 14 nov. 2015
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Des fois, quand j'ai rien à faire, je m'accoude à la fenêtre, et je ferme les yeux. Dans ces moments-là, mon esprit divague, s'envole, et je ne le contrôle plus. Je le suis, mais je laisse faire.
L'autre fois, va savoir pourquoi, il est parti se balader 100 ans en arrière, alors j'ai rêvé en noir et blanc. Je me promenais à Paris, en bord de Seine, avant de doucement me diriger vers le 18e arrondissement.
Au loin, on voyait déjà un attroupement, au coin d'une rue. Une masse de gens comme j'en avais rarement vu, mais impossible de distinguer ce qui les attirait tant à cet endroit précis.
La curiosité l'emportant, je me suis frayé un chemin au milieu des badauds vers le coeur de la foule. Tous s'étaient amassés devant une caravane, campée là comme si elle en avait rien à foutre. Juste à ses pieds, deux bonhommes livraient au public une pluie de notes désarticulées. Je suis pas sûr qu'eux se rendaient compte de ce à quoi ils assistaient, mais moi j'ai vite compris.
Là, sous mes yeux, c'était lui. Django Reinhardt.
A peine son concert improvisé terminé, je l'invitais à boire un verre. Lui a préféré qu'on aille marcher. Je l'ai donc suivi, lui sapé comme un dieu, moi sapé comme un gueux, pour qu'il me raconte tout.
Alors il a tout dit. Ses débuts au violon, la découverte du banjo, de la guitare. La perte de deux doigts dans un incendie de roulotte, la convalescence, la nécessité de réinventer un style.
Il m'a parlé d'Armstrong, d'Ellington, de Venuti, de son pote Grappelli qui l'accompagnait au violon. Il a évoqué le jazz manouche, ses racines...
Evidemment, j'écoutais religieusement. Mais ça devait faire un moment que je disais rien, parce que Django m'a regardé d'un air espiègle avant d'éclater de rire.
C'est pas ça l'important qu'il a dit. C'est pas sa vie, lui c'est qu'un mec comme un autre. C'est la musique qui compte.
Il s'est arrêté de marcher pour taper dans ses mains.
Clap clap clap. Silence.
Le rythme. Tout est dans le rythme.
Clap clap clap. Silence.
Sans que je m'en aperçoive, on était arrivés devant un café où il semblait avoir ses habitudes. On est rentrés, j'ai pris un café, lui une bière. Mais alors que j'allais m'asseoir, lui s'est dirigé vers une petite estrade située dans le fond de l'établissement et a empoigné la guitare sèche qui s'y trouvait.
A peine entamait-il quelques gammes pour se réchauffer les doigts, son camarade violoniste l'avait déjà rejoint.
Derrière l'épais écran de fumée des cigarettes, Django m'a exposé en quelques minutes tout ce qu'il m'avait expliqué. L'exemple fait foi.
Des pompes à n'en plus finir, une virtuosité inouïe, des solos ébouriffants plaqués sur un cadence imperturbable.
L'essence du jazz manouche. Le tout sans ciller de la moustache, paisiblement assis sur son tabouret. Du rythme, de la folie, de la liberté. Tout ça, et bien plus encore. Le swing.
Je savais pas ce que ça voulait dire précisément le swing, je le sais toujours pas d'ailleurs. Enfin, en tout cas, je serais incapable d'expliquer ce que c'est, tout comme je serais incapable d'expliquer comment j'en suis sûr, mais lui l'a. C'est peut-être même lui qui l'a inventé.
A la faveur de la conclusion d'un Minor Swing majeur, je m'éclipse discrètement de la salle. En me voyant partir, Django m'adresse un clin d'oeil complice.
A la sortie du bar, je traverse un épais nuage de fumée, je sais à ce moment que ce n'est pas seulement le produit de la profusion de clopes allumées qui m'enserre, mais que je suis en train d'être arraché à ce lieu.
Je me réveille doucement. Songeur, je hausse mon regard vers le ciel. Il y est Django, et il est pas tout seul.
Tu peux parier que là-haut, ça swing du feu de Dieu.
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le 17 nov. 2015
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