Après avoir passé la fin de l'année 1984 à donner quelques concerts épars à travers l'Angleterre (comme ce live à Bournemouth); les Cabaret Voltaire entrent de nouveau dans leur studio Western Works afin de préparer un nouveau projet.
Ayant embarqué plusieurs caméra Super-8 pendant les tournées au Japon, aux Etats-Unis et en Europe au cours des trois dernières années, Richard Kirk et Stephen Mallinder se retrouvent avec des heures de rushes dont ils se servent afin d'illustrer leurs concerts. Ayant également monté un label audio-visuel nommé Doublevision, ils font appel à Peter Care afin de monter tous ces rushes en une espèce de cut-up gigantesque illustrés par les versions studios des morceaux retenus.
En parallèle, le groupe enregistre une poignée de nouveaux morceaux expérimentés pendant les lives : « Kino », « Big Funk », « Sleepwalking », « Ghost Talk », mais également « Diffusion », « Slow Boat To Thassos » et « Automotivation ». Tous ces morceaux sont enregistrés entre décembre 1984 et janvier 1985 et les quatre premiers, tous longs d'environ huit minutes, sont sélectionnés pour sortir sur un EP nommé Drinking Gasoline. Les trois autres titres ne sont pas diffusés sur disque, mais font en revanche partie du projet vidéo Gasoline In Your Eye, accompagnés des clips de « Crackdown » et de « Sensoria ». L'EP comme la VHS du projet Gasoline sort en avril 1985, en collaboration entre leur propre label, Some Bizarre et Virgin Records.
Cet EP quatre titres est selon moi le point culminant des expérimentations électroniques de Cabaret Voltaire. « Kino » est la suite logique de « Sensoria », soit un titre relativement pop, mélangeant des influences de l'électro new yorkaise, des rythmes saccadés et des samples de, tenez vous bien, Jean Marie Le Pen. « Sleepwalking », inauguré l'année précédente lors d'une Peel Session, est un titre plus lent, plus atmosphérique mais relativement hypnotique. Mark Tattersall, batteur de session, remplace Alan Fish, leur ancien batteur, et s'en donne à cœur joie sur les breakbeats de batterie overdubbées par dessus les boites à rythmes de Kirk. « Big Funk » retourne plus ou moins au sampling de The Crackdown, avec des cut-ups de trompettes, de cris masculins et autres guitares découpées,le tout sur un rythme hip-hop et la basse slappée de Mallinder. Enfin, « Ghost Talk », plus minimaliste, est certainement le morceau le plus expérimental du disque, tout en gardant une couleur « kraftwerkienne » bienvenue. Les trois autres titres, désormais disponible sur diverses compilations depuis, sont tous relativement instrumentaux, à l'exception de « Diffusion », sorte de mélange entre « Big Funk » (pour son usage assez avant-gardiste des samples de funk) et « Yashar » (pour les mélodies aux consonances orientales et psychédéliques). « Automotivation » est une longue jam rythmique héritée du krautrock allemand tandis que « Slow Boat To Thassos » est un morceau instrumental de dark ambient ou Kirk s'amuse à trafiquer le pitch et la réverbération de sa boite à rythme MXR.
Tous ces morceaux, collés les uns aux autres sur la VHS Gasoline In Your Eye, sont particulièrement enthousiasmants. C'est à mon avis le point d'orgue de cette période du groupe dans le sens ou il convie à la fois la musique du groupe synchronisée sur leur esthétique si particulière. L'ensemble prends la couleur d'un projet arty à la fois dansant et psychédélique, tout ce que le groupe voulait faire depuis leurs débuts dix années plus tôt. En bref, si un néophyte désirait un jour approcher la musique du groupe, je pense qu'il serait indiqué de lui conseiller l'achat et l'écoute de cette « compilation vidéo », faute d'un autre mot.
L'EP Drinking Gasoline termine 71ème dans les charts anglais et marche plutôt bien dans le cercle indé et des college radio stations aux Etats-Unis. Virgin invite donc le groupe à partir dans une courte tournée américaine : six dates entre avril et mai 1985. Le concert donné au 688 Club d'Atlanta le 3 mai sera filmé, ce qui permet de mieux visualiser les performances du groupe à cette époque. Sur place, il arrive à Cabaret Voltaire de jouer des morceaux qui ne sont jamais sorti officiellement sur disques, comme « Japno » et « Ruthless » (parfois renommée « Doin' Time » en fonction des textes changeants de Mallinder). Ces deux titres, disponibles sur internet dans des versions à la qualité sonore assez rudimentaire, laisse là encore présager le futur du groupe...
Cycle Cabaret Voltaire 1982-1986, critiques en quatre volumes :
Volume 1 : Le Chant des Machines (The Crackdown)
Volume 2 : Des Espions dans les Tuyaux (Micro-Phonies)
Volume 3 : Eteins mes ardeurs à l'Essence (Drinking Gasoline)
Volume 4 : Au Pays de Charlie M (The Covenant, The Sword And The Arm Of The Lord)