"Voir le jour se lever est plus utile que d'entendre la Symphonie Pastorale"

La symphonie Alpestre de Strauss est une pièce étonnante, un de mes vieux coup de cœur dont l'écoute brasse toujours quelque chose, et malheureusement pas une favorite des programmations de nos salles françaises.
Présenté pour la première fois en 1915, ce "poème symphonique" arrive plus de 15 ans après les grands succès du genre qu'ont été entre autres Ainsi parlait Zarathoustra (1896) et Une vie de héro (1898), et réinvesti la musique à programme, cette mode du XIXème (qui consiste en une pièce illustrant un thème ou un sujet), que dépoussièreront à leur tour Schoenberg et Mahler.

Imposante par sa durée et la taille de l'orchestre qu'elle exige, Eine Alpensinfonie permet à Strauss de pousser jusque dans ses derniers retranchements la musique "illustrative", avec un romantisme bon enfant qui fleure bon l'hommage appuyé à Beethoven (on a même le droit aux cloches des vaches dans les pâturages, et on se souvient alors du mot de Debussy, publié un an auparavant : "Voir le jour se lever est plus utile que d'entendre la Symphonie Pastorale").
On démarre dans "la nuit", puis on grimpe cette montagne en passant par la forêt, en suivant un ruisseau, puis sur un glacier, avant d'arriver au sommet, lumineux, où s'impose à nous une "vision", avant qu'un orage ne vienne apporter un peu de fureur à tout ça. S'en suit la descente et le retour à la nuit.
Cette désuétude figurative, assumée, alors qu'est déjà passé l'impressionnisme de Debussy, n'empêche pas Strauss de déployer une orchestration magnifique (comme toujours quoi), dans un souffle de 50 minutes parfois tétanisantes de beauté, et non dénuée d'expérimentations qui résonneront chez les contemporains quelques décennies plus tard (le livret du disque va un peu plus loin dans le détail technique de ces expérimentations).

A l'arrivée, on tient là un grand moment de dépaysement, du plaisir immédiat, de la musique "qui fait voyager", pour de vrai, c'est même son but affirmé. L'écriture, attachée ici à l'image concrète d'une ascension, permet de cerner aisément les tenants et aboutissants de la composition de Strauss (tout bêtement : on part des sonorités graves de l'orchestre, la nuit, pour mettre en avant les aigus au sommet, en passant par de multiples variations et jeux de coloration), en apprécier plus facilement les fulgurances, et l'oreille géniale qu'avait Strauss pour faire sonner un orchestre de manière inédite. En somme, c'est une porte d'entrée toute indiquée à l’œuvre du compositeur comme à la musique classique en général.

(Cette version Karajan n'est pas fameuse pour rien : splendeur d'un orchestre au sommet de son âge d'or, vision généreuse d'un chef à qui on reproche souvent le goût pour "l'effet", voire l’esbroufe, quoi que cela puisse vouloir dire précisément, et prise de son irréprochable - et on est en 81 ! tout numérique ! - elle est devenue ma favorite devant mes versions Prévin et Böhm, c'est dire !)
Tom_A
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Créée

le 15 juil. 2014

Modifiée

le 16 juil. 2014

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Tom_A

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