Mifune/Nakadai, round pénultième !
Perle d'un romantisme noir comme le sang (qui coule à flot), le Sabre du mal tiens la promesse de son titre et nous plonge dans l'esprit dérangé de son protagoniste phare, campé par un Tatsuya Nakadai qui s'en donne à cœur joie : sourire d'abruti et roulements d'yeux au programme !
La figure du sabreur fidèle à sa philosophie jusqu'à l'ascèse façon Musashi est ici retournée comme un gant, la folie et la destruction se substituant naturellement à l'équilibre et l'excellence habituellement recherchés. En ressort une figure marquante, unilatérale, un peu comme une copie en négatif du preux chevalier, anti-héro qui ne croise son équivalent de lumière qu'au cours de deux scènes forcément marquantes, car c'est Toshiro Mifune qui se charge de lui faire la leçon. Leur rencontre sous la neige est un des sommets du film.
En image c'est un plaisir de cadre et de photographie. Le ton, particulièrement sombre, instille chez le spectateur la maladie rampante qui ronge son personnage. Le film est à la fois maitrisé dans ses moindre détails et aéré par de nombreuses expérimentations visuelles et sonores. Okamoto réussi d'ailleurs là où tant d'autres se cassent les dents : être bon dans ses scènes d'actions (dont certaines franchement mémorables) comme dans le reste (non sans symbolisme).
L'histoire, foisonnante, est toutefois moins passionnante que la confrontation attendue des différents protagonistes, et l'embrouillamini politique que les actions "terroristes" du groupe Shinshi nous poussent à suivre nous touche difficilement. Dans ce même genre du "chambara crépusculaire", le fameux Hara-Kiri de Kobayashi faisait plus directement le procès d'un Japon féodal suffocant de ses vieilles valeurs et traditions, et si on retrouve ici cet aspect, il est assez vite éludé par l'action pure. Le romanesque de certaines situations ne compte d'ailleurs que sur notre suspension d'incrédulité pour fonctionner, comme cet improbable bandit qui se rachète une conduite en sauvant une jolie jeune fille.
C'est pourquoi le Sabre du mal, à l'arrivée, ressemble plus à un conte qu'à la chronique désenchantée qu'il semble vouloir être, comme les dates scrupuleusement notifiées au cours du film tendent à le faire penser. Un conte noir et quasi-nihiliste, qui laisse en bouche son amertume longtemps après son visionnage. Un grand cru dans son genre.