Il y a des disques dont l'histoire, le contenu et la mentalité sont directement inscrits sur leur boitier. Ejector Seat Reservation, ce titre sonne comme un message et même comme un avertissement. "Notre temps est compté, donc nous allons faire ce qu’on a envie de faire. Autant en profiter avant d’être viré !"


Swervedriver a beau avoir sorti deux des disques les plus jouissifs du rock alternatif des années 1990 et être un chouchou d’Alan McGee (le créateur du label Creation pour rappel), ça ne paie pas les factures. Car en dépit du talent de McGee pour repérer les groupes talentueux et même les bons coups (l’ascension d’Oasis vers une popularité immense venant de débuter), son label n’a plus de trésorerie ! Pas seulement à cause du budget absurde englouti par la création du Loveless de My Bloody Valentine, mais parce que la gestion des finances est catastrophique.


Changement de mentalité : cette fois-ci, la priorité ne sera plus vraiment la musique, plutôt l’argent et la survie du label. C’est pourtant avec cette décision très lucide que Creation va basculer du mauvais côté jusqu’à son rachat par Sony. Tout ce qui faisait le charme et l’indépendance de cette musique hors norme sera quasiment renié. L’apparition dans les bacs de l’étrange et invendable Pygmalion de Slowdive fut le premier signe avant-coureur d’un déclin. Puisque le groupe fut remercié juste après. Les multiples désaccords artistiques (dont le simple choix d’un single) et le peu de financement alloué à la bande d’Adam Franklin pour l’enregistrement de leur 3ème album confirmeront ce nouvel état d’esprit.


Swervedriver, se sachant donc sur un siège éjectable, va préparer sa tambouille en se moquant du reste. Sans tenter le suicide commercial tels leurs amis de Slowdive, ils vont se contenter de brouiller les pistes pour effectuer une mue moins spectaculaire, qui les empêchera tout de même de toucher un large public (parfois pour des raisons indépendantes de leur volonté).


Voilà qui est étrange. Car le quatuor suit une voie similaire à l’une de ses plus grandes influences : Dinosaur Jr. Leur musique affirmant plus ses affinités pop quitte à perdre son énergie rock. A la différence que les Swervies sont plus ambitieux dans l’utilisation du studio. Leurs chansons sont jonchées d’expérimentations diverses, tels ces bruits de sonar et ces sonorités de sitar qu’on retrouve dans l’outro du morceau titre… Quand ce n’est pas un son de batterie qui sera incontournable dans le metal alternatif (pour ne pas dire le néo metal) de la seconde moitié des 90s (« Bubbling Up ») voire une entame d’album symphonique digne des Boo Radleys (« Single Finger Salute »).


Les Anglais se sont amusés avec leurs arrangements. Cependant, le plus important reste les chansons avant tout. De ce côté, le bilan est plutôt bon mais inégal. Il y a des trésors mélodiques à l’image de l’euphorique « Last Day On Earth » dévoilant une sensibilité qui nous était alors inconnue. « Bring Me the Head of the Fortune Teller » balance un refrain accrocheur et plein de morgue avec une verve grungy. « Son of Jaguar 'E' » envoie sans vergogne des guitares torsadées à côté de son refrain apaisant… Hélas, les réussites ne doivent pas faire oublier la mollesse de certains morceaux. Une apathie les rapprochant par instant des Byrds. Une influence leur permettant aussi bien d’apporter une douceur délicieuse entre deux déferlements de guitares sur le remarquable « The Other Jesus ». Mais également de frôler l’indolence sur le folk de « Flaming Heart ».


Ejector Seat Reservation arrive toutefois à convaincre avec son virage et laisse même entrevoir une ouverture vers un plus large public en raison de son caractère moins frontal. Un évènement qui n’arrivera jamais bien évidemment. La sortie de cet opus ne bénéficiera que d’une faible couverture médiatique et surtout d’une absence de parution aux États Unis. Un énorme coup dur pour Swervedriver car une grande partie de leurs fans se trouvaient là-bas. Quoi de plus normal pour la formation la plus Américaine de la première vague du shoegaze ? Voilà la goutte d’eau qui fait déborder le vase.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 17 oct. 2015

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