Lâcheté et mensonges
Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...
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le 29 nov. 2019
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Flashback (indispensable) : Il y a 23 ans, en 2001, Ed Harcourt apparaît sur la scène « pop orchestrale » mondiale avec un album immédiatement reconnu comme une réussite dans le genre, Here Be Monsters. Nominé pour le Mercury Prize, il permet au quasi-débutant qu’il est (en solo, tout du moins) de réaliser un second disque, From Every Sphere (2003) qui rencontrera un succès raisonnable, en particulier en Grande-Bretagne. Et puis les années s’écoulent, pour lui comme pour nous : se succèdent des albums plus ou moins réussis, et, avec le temps Harcourt disparaît progressivement du devant de la scène, et aussi, admettons-le, de nos mémoires. Nous voilà en 2024, et Harcourt sort El Magnifico, son onzième disque : un (petit) buzz naît, qui voudrait qu’il s’agisse là du successeur qu’on avait arrêté d’attendre à Here Be Monsters. Nous le posons sur notre platine, et dès la majestueuse introduction de 1987, il faut se pincer : non, nous ne rêvons pas, c’est… euh… magnifique. Et ça le reste à peu près tout au long des douze titres et des cinquante-trois minutes du disque.
S’il nous fallait expliquer la musique que l’on entend sur El Magnifico, nous pourrions dire qu’il s’agit d’une sorte de torrent d’émotions qui se déploient dans un univers très cinématographique (nous parlons là du format d’antan, du cinémascope, avec une image immense et des couleurs qui pètent). Comme une sorte de versant britannique aux excès des meilleurs disques d’Okkervil River, avec en plus un chant de Harcourt qui évoque plus d’une fois celui de Will Sheff : le problème avec cette comparaison est qu’il y a évidemment aussi peu de gens qui connaissent Okkervil River qu’Ed Harcourt ! Mais pour ceux qui connaissent, l’écoute d’un morceau comme My Heart Can’t Keep Up With My Mind est assez troublante, comme si Harcourt et Sheff étaient deux âmes sœurs !
1987 est une ouverture puissante, avec Ed qui se prend pour un chat, et qui nous raconte toutes les fois où il a échappé de près, de très près même à la mort, pour conclure, avec la sagesse qui vient avec l’âge : « I got five lives left, I’ll save the rest / Choose my time to die / It feels good to be with you, being alive » (Il me reste cinq vies, je vais économiser le reste / Choisir mon moment pour mourir / C’est si bon d’être avec toi, d’être en vie). Into the Loving Arms of Your Enemy bénéficie d’un refrain lumineux, et sa construction en crescendo émotionnel en fait une chanson à l’impact imparable.
Mais le titre le plus immédiatement accrocheur du disque est sans doute le très lyrique Broken Keys : il est fait pour être repris de manière extatique dans une de ces grandes salles que la popularité désormais réduite d’Ed Harcourt ne lui permet plus de remplir (pour l’instant ?). On notera que le pote Greg Dulli (de Afghan Whigs) donne un coup de main sur cette chanson superlative. Le morceau le plus touchant est peut-être The Violence of The Rose, où la fragilité tremblante du chant et les émotions froissées qui se dégage de la mélodie splendide posée sur une partie de piano quasiment classique renvoie aux grandes années d’Elvis Costello… mais la chanson qui lui succède, Ghost Ship n’est pas mal non plus, avec une jolie ascension romantique en son centre : « And now I see a ghost ship / Drifting out of reach / Baby you’re a ghost ship / Begging for release » (Et maintenant je vois un vaisseau fantôme / Dérivant hors de portée / Chérie, tu es un vaisseau fantôme / Implorant ta libération).
Si Deathless pousse avec trop d’assurance, et inutilement, dans une direction « rock », et perd de la grâce, nombreux sont ceux qui souligneront que Anvil & Hammers, avec sa mélodie simple et joueuse, a tout d’un futur classique (enfin, si le fait d’écrire de grandes chansons importait encore dans la Musique d’aujourd’hui !). At the Dead End of the World, aidé par une voix féminine bien venue, celle de Stevie Parker, est une chanson qui brise parfaitement le cœur à chaque écoute, au point qu’on hésite presque à l’écouter, même si on ne sait pas si elle nous fait trop de mal ou trop de bien : « We’re never going back to the good old days / There is a white flag when you see my face » (On ne retournera jamais au bon vieux temps / C’est un drapeau blanc que tu vois à la place de mon visage). Amère est notre défaite devant les ravages du Temps…
Les deux dernières chansons de El Magnifico sont celles de l’envol : il y a d’abord l’irrésistible Seraphina, où la voix se fait plus basse, où le tempo se ralentit, où les cordes se chargent de nous mettre les larmes aux yeux, avant un final d’une ampleur éblouissante. Et puis El Magnifico, qui s’ouvre sur des notes de guitare flamenco et a un refrain en espagnol, est notre récompense suprême : la vie et l’amour ont été une guerre à laquelle on ne saurait survivre, même si on est un féroce conquistador, et alors que se déroule le générique de fin sur une trompette nostalgique, il ne nous reste qu’à contempler le spectacle les corps sanglants, enchevêtrés, de nos rêves défaits.
Un chef d’œuvre intime et pourtant à grand spectacle.
[Critique écrite en 2024]
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Créée
le 2 mai 2024
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